lundi 23 janvier 2012

Enfants étrangers retenus : la France condamnée



 

Plus qu’un blâme, la France se voit délivrer une injonction à propos de la détention des enfants dans les centres de rétention administrative !  C’est à une véritable mise en demeure de la France que vient de se livrer la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), par son arrêt du 19 janvier 2012.

C’est une longue décision, comme cette haute juridiction qui veille au respect des droits de l’Homme de 800 millions d’européens dans les 47 États membres, ne manque pas d’en faire, et qui mérite d’être lue dans tous ses aspects (ici : Affaire Popov c. France).

En cause : l’État, pour avoir détenu des enfants dans des centres de rétention administrative (CRA) pour étrangers en séjour irrégulier sur notre territoire. Une famille originaire du Kazakhstan, résidant en France depuis 2003, composée des parents, d’une fillette de trois ans et d’un bébé, fut privée de liberté et placée durant quinze jours en 2007 dans un centre de rétention administrative, soi-disant «habilité à accueillir les familles», où l’on garde les «illégaux»... dans l’attente de leur expulsion.
Primo : la Cour constate d’abord que le placement d’enfants dans un CRA, outre l’inadéquation des lieux à leur accueil, était manifestement inadapté à leur âge et que «les conditions de vie ne pouvaient qu’engendrer pour eux une situation de stress et d’angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur leur psychisme», eu égard à la forte présence policière, ajoutée à la détresse des parents. D’où, dit la Cour, les enfants ont été l’objet de traitements inhumains et dégradants.

Secondo : la loi française n’autorise pas l’éloignement forcé d’enfants du territoire. C’est dans la loi (ici et ici). Or ces enfants ont bien été détenus en vue de leur expulsion alors que la Convention européenne des droits l’Homme prévoit qu’il faut une loi pour qu’il en soit ainsi et que, de toute façon, s’agissant d’enfants, leur détention ne peut être qu’une «mesure en dernier ressort», comme l’exige la Convention des droits de l’enfant (art. 37). D’où, violation du droit à la liberté.

Tertio : la Convention européenne des droits de l’Homme prévoit que toute personne détenue doit être immédiatement présentée devant un juge. Or, comme l’administration entretient la fiction selon laquelle ces enfants sont «libres», qu’ils ne font qu’accompagner leurs parents, seuls ces derniers sont présentés devant le juge des libertés et de la détention, qui ne peut dès lors examiner la situation particulière des enfants, ceux-ci demeurant privés de liberté dans un «vide juridique». D’où violation du droit à un recours contre la mise en détention.

Quarto : Citons la Cour : «L’intérêt supérieur de l’enfant ne peut se limiter à maintenir l’unité familiale mais (…) les autorités doivent mettre en œuvre tous les moyens nécessaires afin de limiter autant que faire se peut la détention de familles accompagnées d’enfants et préserver effectivement le droit à une vie familiale. Aussi, en l’absence de tout élément permettant de soupçonner que la famille allait se soustraire aux autorités, la détention, pour une durée de quinze jours, dans un centre fermé, apparaît disproportionnée par rapport au but poursuivi». D’où violation du respect dû à la vie privée et familiale.
Déjà, en janvier 2007, la Belgique avait été condamnée par la CEDH pour les mêmes raisons (ici), et durant les cinq dernières années, le gouvernement français, comme l’autorité judiciaire, ont fait mine de ne rien comprendre, de ne rien y voir. La détention des familles dans les CRA n’a fait que s’accroître dans ce délai.
Il s’agit cette fois d’une ferme et précise remise en cause de la politique française d’éloignement des familles avec enfants, et de l’obsession du chiffre qui guide l’action gouvernementale, faisant fi des drames humains qu’elle
peut engendrer.
C’est aussi un avertissement, et même une mise en demeure aux cours et tribunaux régulièrement interpellés sur la question de la détention des enfants migrants. La Cour de cassation, qui prétend désormais que les États «sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme» (ici), va devoir changer sa jurisprudence, elle qui affirmait encore en 2009, pour censurer les cours d’appel qui avaient décidé de libérer les familles avec enfants, que leurs décisions reposaient «sur des motifs impropres à caractériser, en l'espèce, un traitement inhumain ou dégradant» (ici).

Cette fois, nos hautes juridictions nationales ne pourront plus y échapper, ni même le ministère de l’intérieur : la CEDH a repris les mêmes motifs que les cours d’appel précitées, s’est appuyée notamment sur les rapports de la CIMADE, de la Défenseure des enfants, de la Commission nationale de déontologie et de sécurité (toutes deux aujourd’hui dissoutes dans le Défenseur des droits), du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, du Comité européen contre la torture, des recommandations du Haut commissariat aux réfugiés, pour affirmer, in concreto, comme in abstracto : «Non ! Ça ne peut pas aller comme ça ! Ces enfants ne peuvent pas être détenus pour ces raisons, de cette manière; il y a de la souffrance; il y a pourtant des alternatives. Et si vous avez éventuellement le droit d’éloigner ces familles, vous devez tout d’abord veiller, dans l’intérêt supérieur des enfants, à les protéger, à ce que leur cause soit entendue, à rechercher leur bien-être… et à respecter autant que faire se peut l’unité familiale».
Désormais, comme Serge Portelli le déclarait il y a peu : «Le droit est en train de changer, ce qui peut permettre aux enfants d’espérer (…) Le Conseil constitutionnel a également fini par critiquer la garde à vue, et puis, dans son courage exemplaire, la Cour de cassation, en dernier. Il ne faut donc jamais désespérer de cette haute juridiction française» (ici).

C’était le 14 mai dernier, au cours du Procès de l’enfermement des enfants étrangers que DEI-France a organisé avec d’autres associations, où ce magistrat, vice-président du Tribunal de Paris, jouait le rôle du procureur. Aux autorités de l’État d’en prendre acte et de cesser sans tarder de violer nos engagements internationaux.

Jean-Luc Rongé, directeur du Journal du droit des jeunes
Voir aussi : http://libertescheries.blogspot.com/2012/01/la-cour-europeenne-au-secours-des.html

mardi 10 janvier 2012

Stratégie du gouvernement français pour l’inclusion des Roms


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ROMS ET GENS DU VOYAGE

Fin décembre 2011, la France a, dans les délais, remis à la Commission européenne un projet de stratégie pour l’inclusion des Roms et des gens du voyage. Décevant pour les intéressés exclus de toute concertation, ce document marque une étape dans le processus qui, à partir de 2014, devrait aboutir à flécher les fonds européens vers des actions efficaces.

« La France est un bon élève administratif ; elle a rendu une note sur sa stratégie nationale en faveur de l’inclusion des roms et gens du voyage », précise-t-on du côté de la Commission européenne qui s’apprête à discuter avec le gouvernement sur l’évaluation des politiques envisagées.

Dans le cadre fixé par l’UE [1], les services de la commission affichent une ferme volonté de ne financer que des dispositifs cohérents et solidement évalués. Si dans la forme, les 24 pages de la note française font pâle figure par rapport au volumineux dossier accompagné de rapports de groupes de travaux présenté par la petite Finlande, la Pologne ou la Roumanie, [2] le ministère des Affaires sociales considère cette première contribution comme un projet et affirme travailler plus en profondeur.

Réaffirmation d’anciens principes - Ne reconnaissant pas le concept de minorité ethnique, la France axe sa politique sur l’accès au droit commun des populations qui peinent à bénéficier de la scolarisation, des soins, du logement et de l’emploi.

Elle ne tient pas compte de l’ethnie et ne prend en compte les roms et les gens du voyage que dans la mesure où ils se trouvent dans des situations précaires ou exclus de dispositifs comme l’école du fait de modes de vies particuliers.
Cette philosophie de l’accès au droit commun, inlassablement et unanimement rappelée par toutes les commissions nationales consultatives des gens du voyage depuis le début des années 2000, constitue la particularité de la contribution française.
Elle est en effet la seule à prendre en compte les gens du voyage dans la stratégie en faveur de l’inclusion des roms.

Ce principe n’est nullement contesté par les intéressés qui revendiquent l’égalité des droits, mais déplorent l’inefficacité de la plupart des mesures mises en œuvres depuis 30 ans.
Ils réclament de véritables évaluations de chacun des dispositifs listés dans le document. Dans tous les domaines, ils sont pour la plupart jugés intéressants mais insuffisants pour répondre aux besoins.
Amertume et défaut de concertation - Ainsi, le paragraphe consacré à la « politique ambitieuse conduite depuis le début des années 1990 en matière de logement », déclenche des réactions amères du côté des responsables des associations de gens du voyage.

Tant Désiré Vermeersch, président de l’Asnit, que Fernand Delage, vice-président de l’Ufat, dénoncent le gouffre qui sépare les mots des réalités. « Aujourd’hui même, des familles sont empêchées d’habiter sur les terrains qui leur appartiennent depuis plus de 20 ans et qu’ils ont aménagés à leurs frais. Elles se retrouvent à la rue sans même pouvoir stationner légalement faute de places », déplore Désiré Vermeersch.

« En matière de scolarisation et d’accès au travail, il n’y a rien de nouveau et de prometteur dans cette stratégie. Tout ce qui est proposé là est déjà expérimenté depuis longtemps sans que rien ne s’améliore », constate tristement Fernand Delage, en faisant remarquer qu’aucune association n’a été associée à la réflexion sur cette stratégie.

Déficit de concertation - Mi-décembre, les services de la Commission européenne craignaient que la France ne tienne pas ses engagements. Ils étaient en effet associés aux réflexions et aux processus de concertation dans d’autres pays sans être informés de l’existence même d’un travail au sein du gouvernement français.
Celui-ci ne tient d’ailleurs pas à communiquer avant plusieurs semaines sur ce sujet sensible en marges des préoccupations majeures.
« Un tel défaut de concertation ne serait pas possible avec une autre catégorie de la population », remarque Stéphane Léveque, directeur de la Fnasat, fédération d’associations spécialisée mentionnée dans le document sans même en avoir été informée.
S’appuyant sur leurs expériences, aucune des associations n’est convaincue par le paragraphe « Impliquer les acteurs associatifs et la société civile ».

« Cette stratégie consiste à faire payer par l’Europe des actions qui étaient jusqu’à présent financées par le gouvernement », remarque Paul Lacoste, l’un des porte-paroles de l’association Halem.

Voir le texte du Gouvernement via :
http://www.fnasat.asso.fr/

http://www.fnasat.asso.fr/
[http://www.fnasat.asso.fr/][http://www.fnasat.asso.fr/]