jeudi 12 décembre 2013

Pire que Guéant et Hortefeux réunis ?

Monsieur le ministre,

...Je vous ai écouté à France-Inter; puis à RMC, chez Jean Jacques Bourdin. Mal réveillé, j’ai cru entendre un dirigeant du Front national. J’ai même un moment pensé que, journaliste bien-pensant, vous interviewez le ministre de gauche : J.J. Bourdin.

...Un peu d’eau fraîche sur le visage comme jadis, le matin, dans les "camps de concentration" d’Argelès, de Barcarès, où furent accueillis nos parents Républicains espagnols, et me voilà lucide.

...Non je ne rêvais pas.

Il s’agit bien du ministre hollandien de l’Intérieur, Catalan naturalisé Français en 1982, et pas d’Albert Sarraut, ni de Daladier, déjà ministres des barbelés "de gauche", dans les années 1930.

Il y a en France environ 20 000 Roms, oui vous avez bien lu : "seulement" 20.000, mais si l’on en croit le ministre des "expulsions forcées" (dénoncées par l’agence moscoutaire Amnesty International), ils menacent la sécurité de notre pays, plus que le chômage, les huit millions et demi de pauvres, les coûts ravageurs de l’accumulation du capital, la "Françafrique", les ripoux en col blanc, les vampires du CAC40, les licencieurs boursiers...

Les Roms, les "voleurs de poules", voilà le danger, voilà le nouveau bouc-émissaire stigmatisé pour faire peur au "petit peuple", pour faire avaler l’austérité "de gauche", les trahisons, les reniements de ce gouvernement "caniche des États-Unis", un rôle que ne veulent même plus jouer les Anglais.

Comme nous ne sommes pas aux États-Unis, on ne peut pas autoriser le port d’armes contre les Roms...Mais il y a des mots souvent aussi redoutables que les armes. Écoutons le ministre "socialiste" tourner en rond : "Il est illusoire de penser que l’on règlera le problème (des Roms) par l’insertion". Pas besoin par conséquent de "stratégie d’intégration" comme le demande Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne. Les Roms "ont vocation à retourner en Roumanie et en Bulgarie". Place donc aux pandores. Les Roms sont sans doute insolubles dans la civilisation... "Une majorité doivent être reconduits à la frontière" (M.Valls). Au nom de cette "libre circulation" garantie par les accords et traités européens ? Les Roms, c’est bien connu, sont réfractaires à "l’insertion", au droit à la santé, à l’éducation, au logement...Le ministre se flatte d’avoir démantelé 242 "campements", depuis le premier janvier 2013, ...11 982 migrants jetés à la rue et confrontés à une exclusion et une précarité redoublées. Rien ou si peu leur est proposé à la place.

"Être de gauche" pour vous paraphraser Monsieur, ce n’est pas valser avec Guéant et Hortefeux, ce n’est pas être le chouchou de la droite pour des raisons carriéristes, c’est faire la chasse aux exploiteurs sans foi ni loi, à ceux qui "s’enrichissent en dormant", pas aux pauvres.

"Être de gauche", c’est avoir un coeur solidaire, ce n’est pas patauger dans les marécages pourris qui font le jeu du Front National,nous resservir la "guerre des civilisations", c’est préférer Jaurès à ce Clémenceau que vous aimez tant.

C’est être avec les communards contre Thiers et les Versaillais, c’est considérer que l’autre, "l’étranger", est un autre vous-même, que vous n’existez que par lui.

Mais pour comprendre tout cela, Manolo, il faut être de gauche.

Qu’escomptez-vous Manuel Valls ? Donner des gages à l’extrême-droite pour acquérir le statut de "présidentiable" ? A ce prix, vous vous déshonorez et, avec vous la fonction que vous occupez.


De l'impossible citoyenneté des Rroms


L'exemple de la très difficile inscription sur les listes électorales


Rrom ou pas, tout ressortissant de l'un des 28 pays membres de L'Union Européenne, vivant en France, en âge de voter et n'ayant pas perdu ses droits civiques, pourra participer aux élections municipales (les 23 et 30 mars 2014) ainsi qu'aux élections européennes (le 25 mai 2014)1. Il pourra même se porter candidat. Éventuellement élu conseiller municipal, il ne pourrait, cependant, participer, comme délégué de sa ville, aux élections sénatoriales partielles (septembre 2014) car les élections parlementaires -Assemblée nationale ou Sénat- sont réservées aux seuls Français !

Voter n'est pas, et de loin, le tout de la citoyenneté. Cela en fait néanmoins partie. L'examen des conditions d'exercice du droit de vote importe d'autant plus que la réglementation dissimule souvent les discriminations dont certains électeurs ayants droit font l'objet.

Cela commence par l'inscription sur les listes électorales2. Le Ministère de l'Intérieur français publie, avant chaque consultation, le rappel des textes encadrant l'accès aux bureaux de vote. Avant le 31 décembre, minuit, de l'année précédant celle du vote, les électeurs étrangers en droit de voter doivent se faire inscrire sur les listes électorales ad hoc, qui sont distinctes des listes des électeurs français. Cette discrimination, qu'on la juge ou non nécessaire, place à part, d'entrée, une partie du corps électoral.

Mais ce n'est pas tout : si un électeur français est inscrit une fois pour toutes (et même automatiquement dès qu'il atteint 18 ans), un électeur étranger devra, lui, se réinscrire à chaque scrutin sur la liste spéciale prévue à cet effet.

Mais ce n'est pas tout : il est établi une liste par scrutin ! En 2014, donc, un électeur bulgare ou polonais ou belge..., voulant voter en France devra se faire inscrire sur deux listes spéciales différentes, dites « complémentaires » : celle ouverte pour les élections municipales et celle ouverte pour les élections européennes. Des documents d'inscription distincts (formulaires CERFA, l'un pour les municipales3, l'autre pour les européennes4), sont accessibles, sur internet, pour ceux qui voudraient préparer leurs documents avant de se rendre en mairie, s'ils préfèrent envoyer leur demande d'inscription par courrier, ou même s'ils n'hésitent pas à effectuer cette inscription en ligne.
La faible participation des électeurs étrangers trouve ici son explication principale : rien n'est fait pour simplifier l'inscription et l'aligner sur les possibilités ouvertes aux autres électeurs, de nationalité française. C'est un choix politique : le droit de vote des étrangers aux élections locales, inévitable pour les concitoyens de l'Union européenne, est néanmoins freiné. Il est, du reste, toujours empêché pour les étrangers vivant en France, même depuis longtemps, et non ressortissants de l'Union européenne (Algériens, Maliens, Suisses..., entre autres). Les Rroms, qui se retrouvent dans l'une ou l'autre des deux catégories (un Rrom croate, roumain ou slovaque peut voter ; un Rrom serbe, kosovar ou turc ne le peut pas !), ne comprennent rien à cette distinction.


Mais ce n'est encore pas tout : pour pouvoir s'inscrire, il faut, en plus du formulaire CERFA « dûment renseigné », présenter un titre d'identité récent (cette exigence-là est compréhensible et facile à satisfaire), fournir un justificatif de domicile nominatif, tel qu'une facture, de moins de trois mois (que les personnes françaises ou étrangères, vivant en habitat mobile, n'obtiennent pas aisément5), et rédiger une déclaration sur l'honneur (mentionnant nationalité, adresse et non déchéance du droit de vote dans le pays d'origine !).

L’électeur européen reçoit, à partir du 1er mars de l’année suivante, une carte électorale d’un modèle particulier, valable seulement pour les élections municipales et/ou européennes. Il faut, en outre, bien comprendre que l'inscription sur la liste complémentaire européenne permet de voter pour les représentants français au parlement européen, mais prive l'électeur étranger vivant en France de la possibilité de voter pour les représentants de son propre pays au sein de ce même parlement.

Et ce n'est toujours pas tout : pour ceux des Rroms électeurs étrangers, roumains par exemple, – ils sont de loin les plus nombreux – qui vivent dans la précarité d'un habitat nécessairement temporaire, il n'est pas d'autre possibilité d'obtenir un certificat de domicile qu'en obtenant leur inscription auprès d'un Centre communal d'action sociale, dit CCAS, ou d'un organisme agréé par le Préfet6. Il est alors possible de disposer d'une « attestation d'élection de domicile » (voir le formulaire CERFA n°13482-027), laquelle « peut être utilisée par son titulaire » notamment pour s'inscrire sur une liste électorale.

Cette complexité conduit les Rroms ressortissants de l'Union Européenne, mais aussi nombre d'étrangers résidant en France, à une majorité de renoncements à faire valoir son droit. Il n'est à cela que deux parades possibles : soit obtenir des services municipaux une information, un encouragement et une aide administrative facilitant l'inscription, soit recevoir le soutien d'un bénévole, lui-même informé et décidé, acceptant d'accompagner les intéressés.

Les Rroms, une fois de plus, sont les révélateurs de détournements de la démocratie. Car il s'agit bien de cela : ce « parcours du combattant », cet abandon à eux-mêmes de concitoyens européens vulnérables, perdus dans le labyrinthe des administrations, met en évidence la prégnance d'un comportement nationaliste. « Les Français d'abord » est une fausse évidence, un principe depuis longtemps développé par l'extrême-droite et qui apparaît, aujourd'hui, jusque dans la pratique administrative, comme du bon sens, alors que l'égalité des droits et donc des ayants-droit nécessite une autre approche. Inutile de se réclamer de l'Europe si tous les électeurs renouvelant le même parlement ne sont pas, dans chaque État, traités de la même manière. 

 


5 Pour les personnes hébergées est demandée une attestation manuscrite et la photocopie de la pièce d'identité de l'hébergeant et une preuve de l'attache de l'hébergé avec la commune (bulletin de salaire ou tout autre document sur lequel figure l'adresse de la personne hébergée).
Voir aussi le Code de l'action sociale et des familles (Article L264-1) :
« Pour prétendre au service des prestations sociales légales, réglementaires et conventionnelles, à l'exception de l'aide médicale de l'Etat mentionnée à l'article L. 251-1, ainsi qu'à la délivrance d'un titre national d'identité, à l'inscription sur les listes électorales ou à l'aide juridique, les personnes sans domicile stable doivent élire domicile soit auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale, soit auprès d'un organisme agréé à cet effet ».

vendredi 8 novembre 2013

Les évêques de France avec les Rroms

 http://www.la-croix.com/var/bayard/storage/images/lacroix/religion/actualite/mgr-pontier-l-eglise-de-france-n-est-pas-qu-une-empecheuse-de-tourner-en-rond-2013-07-04-982364/34493104-2-fre-FR/Mgr-Pontier-L-Eglise-de-France-n-est-pas-qu-une-empecheuse-de-tourner-en-rond_article_main.jpg
Discours d'ouverture de l'assemblée plénière 
de la Conférence des évêques de France (novembre 2013)

Prononcé le mardi 5 novembre 2013 par Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France,
(Extrait)
 
" Nous sommes particulièrement attentifs au sort qui est fait aux populations d'origine bulgare ou roumaine venues vivre dans notre pays. Depuis deux ou trois ans nous ne voyons se dessiner aucune politique autre que celle de leur refuser un accueil réalisable et souhaité par le plus grand nombre d'entre eux.

Des expériences ici ou là le prouvent : des enfants, quand cela est rendu possible, s'intègrent bien en milieu scolaire ; des adultes soutenus par des associations souvent admirables quand elles leur offrent leur compétence sans les instrumentaliser, apprennent notre langue ; des projets naissent. Mais tout cela est vite interrompu par l'insuffisance des moyens que notre société accepte de mettre pour l'accompagnement de ceux qui se comportent de manière raisonnable et pacifique.

Le problème de l'habitat comme celui du travail sont cruciaux. Détruire un bidonville peut sûrement se justifier pour des raisons évidentes d'hygiène. Mais le détruire est-il plus urgent qu'abandonner, sans perspective, à une nouvelle errance ceux qui y avaient fait un refuge familial provisoire ?

Et que dire des propos haineux à leur égard, prononcés sans aucune retenue ? Que dire des violences qu'ils subissent ? Nous ne pensons pas que notre société se grandisse par de tels propos ni par ce refus de solidarité et de fraternité, même si nous n'ignorons pas la complexité de la question, ses exigences compréhensibles et sa dimension européenne évidente à prendre en compte avec leurs pays d'origine.

Quand on ne veut pas se faire frère des plus démunis, on les stigmatise puis on les éloigne et enfin on les ignore. Quand on se fait proche d'eux, et nous en avons de multiples témoignages, voilà que l'amitié naît et que les peurs s'estompent. Nous nous réjouissons de voir de nombreux chrétiens choisir ce dernier chemin, avec bien d'autres d'ailleurs. Comment ne pas redouter que le sort fait à ces femmes, ces enfants, ces grands-parents, ces hommes ne soit en fait trop influencé par des surenchères politiciennes locales ou nationales ? "


mardi 29 octobre 2013

« L’Ange blond »

L'article ci-dessous, paru dans Dépêches Tsiganes, est d'une importance telle qu'il nous semble indispensable de le reproduire.

La violence du racisme à l’égard des Roms

L’affaire de « l’Ange blond » a éclaté le 16 octobre en Grèce lorsqu’une petite fille à la peau et aux cheveux clairs et aux yeux verts a « attiré l’attention de la police » alors qu’elle jouait dans un quartier Rom de Farsala, dans le centre du pays, avec « quatre autres enfants au teint mat ». Ce sont donc les caractéristiques physiques de l’enfant qui ont suscité les soupçons des policiers présents. Leur méfiance a été confortée lorsqu’ils ont appris que la femme et l’homme qui élevaient la fillette étaient bruns à la peau foncée. C’est donc ce stéréotype d’un autre âge – selon lesquels tous les tsiganes seraient « noirs de peau et d’âme » qui a été repris par les médias et les polices du monde entier, visiblement persuadés qu’une pseudo « race » homogène brune et « basanée » ne peut avoir des enfants blonds aux yeux clairs.

La violence du racisme à l’égard des Roms, propagée dans l’emballement médiatique le plus total, a fait ressurgir le mythe séculaire des tsiganes voleurs d’enfants


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Cette logique a été appliquée par le passé au nom d’un eugénisme meurtrier: lors de la Seconde Guerre mondiale, les nazis et les régimes pro-nazis d’Europe ont exterminé les tsiganes sur ces critères physiques de « race » et sur leur prétendu caractère « asocial ».
La décision de retirer la petite Maria à la famille Rom qui l’élevait a donc été prise sur des bases dangereuses sans pour autant qu’aucun garde-fou ne fonctionne pendant plusieurs jours, ni au plan politique, ni au plan médiatique. Cette affaire a engendré une hystérie mondiale ravivant la vieille terreur populaire du rapt d’enfant par des Bohémiens. Courante au 19ème et au début du 20ème en Europe, cette légende à la vie dure est à l’époque également propagée par la presse sur fond de défiance et de répression croissante à l’égard des populations « nomades ». La presse présente alors les tsiganes comme les « plaies des campagnes » sans pour autant oublier d’insister lourdement sur les dangers supposés que représente leur marmaille nue et sale dans des villes où explose la misère. Exclusion sociale  de tsiganes considérés comme faisant partie des « classes dangereuses » et rejet sur des critères « ethniques » alimentaient alors les fantasmes les plus racistes. Les choses ont-elles vraiment changé en 2013 ?

Ce thème imaginaire de l’enfant volé, qui était souvent accompagné d’accusations de cannibalisme, a été abondamment repris dans les proverbes et la littérature européenne. « Endors toi vite ou une tsigane viendra te voler », dit-on parfois aux enfants en Russie. « Ne traîne pas dans la rue ou les camps volants t’emporteront », disait-on encore dans les années 1970 dans plusieurs provinces françaises. En littérature, « La Petite Gitane » de Miguel de Cervantès, publiée en 1613, fait figure d’oeuvre majeure dans la propagation de la rumeur.  Dans cette nouvelle, l’auteur du Quichotte met en scène une jeune Gitane, Preciosa, qui fascine les hommes par sa beauté et sa voix. Afin d’obtenir sa main, un jeune noble accepte de vivre comme un Gitan pendant deux ans. A son grand soulagement, il découvrira que la belle est en réalité une Noble kidnappée par des gitans dans son enfance… Cervantès, comme bien d’autres après lui, oscille entre diabolisation et idéalisation des gitans. Les premières lignes de son texte sont sans équivoque:  « Il semble que gitans et gitanes ne soient venus au monde que pour être voleurs: nés de parents voleurs, élevés parmi des voleurs, ils mettent leur étude à devenir voleurs et, en définitive, finissent par être voleurs tout le temps, comme on respire: avoir envie de voler et voler sont chez eux comme des accidents inséparables dont on ne se défait qu’avec la mort. »
Semblant souscrire à cette thèse du tsigane voleur tout court, et singulièrement voleur d’enfant, le directeur régional de la police pour la région centrale de Thessalie, Vassilis Halatsis, déclare à la presse immédiatement après la découverte de la fillette qu’elle pourrait avoir été « enlevée dans un hôpital » à sa naissance.

Peu de médias – en Grèce, en France, comme ailleurs, ont trouvé opportun de souligner que cette affaire avait éclaté dans un pays traversant une profonde crise économique, sociale et politique, marquée notamment par la résurgence d’un courant néo-nazi. Pratiquement aucun n’a rappelé le triste bilan des autorités grecques en matière d’accueil des migrants et singulièrement des Roms. Les discriminations infligées aux Roms par les autorités grecques, notamment la ségrégation scolaire, sont pourtant dénoncées depuis des années par les instances européennes et des ONG.  « On a trouvé une enfant blonde à la peau claire. On ne se soucie pas de ceux à la peau foncée, aux cheveux bruns, qui n’ont pas accès à l’éducation ou au confort sanitaire », résume  le président de l’association grecque Mitera (« Mère »), Dimitri Vezyrakis.

Le surnom donné par la presse grecque (les quotidiens Ta Nea et Ethnos) puis mondiale à la petite Maria, « l’Ange blond », s’est chargé de réactiver dans l’imaginaire collectif les visions les plus manichéennes et irrationnelles selon lesquelles la pureté enfantine d’une petite gadgi (non-tsigane) serait menacée par des êtres dont la couleur sombre évoque des alliés du diable.  Avant même d’élucider l’affaire, la petite fille est retirée au couple qui l’élevait, subit des examens médicaux et est placée par les services sociaux dans une institution administrée par une association de « bienfaisance » baptisée « le sourire de l’enfant ». Institution qui communiquera tous azimuts avec les médias de manière, disons, pour le moins surprenante. Deux clichés de police font le tour du monde. Fonctionnant sur le mode du « Avant/Après », ils  valident l’idée que la petite fille était négligée par le couple de Roms incriminés et est désormais bien traitée par les autorités auxquelles elle a été confiée: sur le premier, Maria apparait vêtue d’un jogging froissé, avec de petites nattes sortant d’une tête ébouriffée, le visage sale. Sur le second, sa chevelure est coiffée, son visage propre et elle esquisse un sourire.
La fillette, âgée d’environ 4 ans, « a la peau blanche, des cheveux blonds et des yeux verts, des traits complètement différents de ceux de ses parents présumés », explique la police dans un communiqué avant de faire une demande officielle d’aide à Interpol pour identifier l’enfant. Les autorités du foyer n’hésitent pas à affirmer que la fillette, qui parle le romani et comprend le grec, est « apaisée » et heureuse de son sort car « pour la première fois, elle est avec des gens qui prennent soin d’elle ». Des tests ADN viennent appuyer les soupçons des enquêteurs: le couple qui élevait Maria n’a aucun lien de filiation biologique avec elle.

Le 21 octobre, ce couple constitué d’un Rom grec de 39 ans et de sa femme, âgée de 40 ans, sont inculpés pour « enlèvement » et placé en détention alors qu’ils affirment que la mère biologique de l’enfant, une Rom bulgare leur avait confié le bébé. Ils sont accusés d’avoir « acheté » Maria et d’autres enfants pour toucher des aides sociales à l’aide de faux papiers. La police et la presse les qualifient alors de « faux parents ». « Il n’y eu aucun enlèvement, aucun vol, aucun trafic. Ils n’ont pas acheté l’enfant », affirment leurs avocats sans parvenir à couper court aux spéculations hasardeuses. La mère biologique était selon eux « une femme qui ne pouvait pas élever cette enfant et qui par l’intermédiaire d’une tierce personne l’a confiée au couple en 2009 peu après sa naissance ».
Dans le quartier Rom où vivait « l’Ange blond », l’indignation règne face aux accusations visant un couple ayant élevé l’enfant « comme sa fille » et face aux conséquences désastreuses de cette affaire en terme de discriminations et de racisme. Plusieurs Roms du quartier s’emportent contre les « mensonges » des médias qui ont raconté que Maria vivait « enfermée et parmi les ordures ». Plusieurs enfants Roms réclament le retour de leur camarade de jeu. « Tout le monde connaissait l’enfant, la police la connaissait, elle se baladait dans le camp, elle allait au supermarché, à Larissa (la grande ville voisine de Farsala ndrl), dans les mariages où nous étions invités », explique Charalambos Dimitriou,  l’un des responsables de la communauté des Roms de Farsala, représentant environ 2.000 personnes. « Et un beau jour, la police arrive et prend l’enfant, pourquoi ? Nous ne volons pas, nous ne tuons pas », dénonce-t-il, précisant que la mère biologique de Maria était une Rom bulgare venue travailler dans les champs alors qu’elle était enceinte et n’ayant pu repartir avec elle dans son pays.

Chez les Tsiganes, traditionnellement la parenté s’exerce de manière très large et l’autorité parentale ne se résume pas à une forme de « propriété » de l’enfant exercée par ses parents comme cela peut être le cas chez les gadgé. Face à l’hostilité rencontrée chez les non-tsiganes, la famille est un refuge précieux. Les mariages sont souvent précoces et les familles nombreuses contrastent avec la baisse de la natalité voire l’infertilité dans le reste des populations européennes. La croyance populaire tenace sur le rapt d’enfants par des tsiganes fait d’ailleurs sourire beaucoup de Roms et de voyageurs: « comme si nous n’en avions pas déjà assez ! », ironisent-ils. Le chavoro (enfant en romani) est souvent chéri à l’extrême même s’il a sept ou 10 frères et soeurs et si son mode d’éducation est totalement différent de ce qui est attendu par le reste de la société, notamment en terme d’apparence et de scolarisation. Dans le cadre d’une conception très élargie de la famille, l’enfant peut, au gré des difficultés de ses parents, ou de son propre intérêt, être confié de manière informelle à un oncle ou un autre Rom considéré comme « allié » de la famille des parents biologiques. Ainsi il n’est pas rare pour des couples Roms et pour des couples de voyageurs français d’avoir de nombreux enfants biologiques et d’avoir également élevé un ou plusieurs autres enfants sans que ces « adoptions » ne soient formalisées.
Mais cette version des faits ne satisfait pas les délires de la police et des médias qui préfèrent se focaliser sur des dizaine de cas d’enfants disparus originaires d’au moins quatre pays: Etats-Unis, Suède, Pologne et France. A la recherche d’une « histoire plus croustillante », médias et policiers n’hésitent pas à réveiller le fol espoir de dizaines de familles dont les enfants ont disparu dans le monde entier. Le « sourire de l’enfant » est assailli de quelque 9.000 coups de fil signalant des histoires différentes, la plupart sans aucun rapport avec l’âge ou l’aspect physique de Maria.
Pendant ce temps, en Irlande, les policiers grecs font des émules: deux enfants blonds sont retirés à leurs familles Roms en Irlande après des appels de délation à la police mettant en avant l’absence de ressemblance physique entre ces enfants et leurs familles. La presse parle de « cas équivalents » à celui de Maria. Une petite blondinette de 7 ans est notamment retirée à ses parents dans la banlieue de Dublin en vertu de la loi sur la protection infantile. Pourtant ces derniers avaient affirmé aux policiers qu’il s’agissait bien de leur fille, née en 2006, en produisant un certificat de naissance et un passeport, considérés comme faux. Mais dans les deux cas irlandais, les tests ADN confirment le lien de parenté et l’enquête la validité des papiers présentés. Face au tollé que déclenchent ces affaires emblématiques, le Premier ministre irlandais Enda Kenny n’en assure pas moins qu’aucun groupe n’est « ciblé » par la police et les services sociaux. « Il ne faut pas voir cela comme une question relative à un groupe ou une minorité en particulier, il s’agit (de la sécurité) des enfants », tente-t-il de relativiser. L’ONG irlandaise Integration Centre fustige des « décisions prises sur la base d’une hystérie de journalisme tabloïd », soulignant que la raison qui avait poussé la police irlandaise à agir est que les « enfants ne ressemblait pas au stéréotype du Rom ». Amnesty International appelle pour sa part « les autorités à ne pas cibler les Roms en tant que minorité ethnique », estimant que « susciter la perception que l’appartenance ethnique peut être liée à la criminalité est discriminatoire…a pour effet de nourrir les stéréotypes racistes ». L’association irlandaise de défense des Roms et des gens du voyage Pavee Point renchérit en demandant une enquête « totalement indépendante » sur ces affaires, dénonçant une « grave transgression ». « Les parents concernés « demandent maintenant avec raison pourquoi leurs enfants leur ont été pris dans des circonstances où il n’y avait absolument aucune preuve, au-delà de la suspicion de personnes anonymes », écrit le Irish Independent, soulignant que « dans les deux cas les enfants avaient des vies heureuses au sein de leur famille ».

Le 24 octobre,  le Centre européen des droits des Roms (ERRC), basé à Budapest, met en garde contre les dangers de ces jugements hâtifs et de la propagation du stéréotype du Rom « voleur d’enfants », demandant notamment aux médias de relayer les enquêtes en cours « sans tomber dans le piège d’attribuer la responsabilité à toute la communauté rom ».  « Le plus important est bien sûr l’intérêt des enfants (…). Si quelqu’un n’a pas respecté la loi, il doit comparaître devant la justice », estime son président Dezideriu Gergely. Mais en cas de délit avéré, rappelle-t-il « la responsabilité devant la loi doit être individuelle ». Il faut donc éviter « d’extrapoler à la communauté entière » tel ou tel fait divers. « C’est comme si prenions une affaire de corruption, et à la place de +Rom+, nous écrivions +Français+ ou +Allemand+, est-ce que cela voudrait dire que tous les Allemands sont tous corrompus, parce que un ou deux sont accusés? », souligne-t-il. Cette affaire « crée des stéréotypes selon lesquels les Roms volent des bébés », insiste-t-il, soulignant les surenchères possibles, pouvant aller jusqu’au lynchage, notamment de la part de mouvements d’extrême-droite.  Et il rappelle une évidence: « Il y a au sein de la communauté rom des groupes qui n’ont pas la peau foncée, qui ont la peau blanche ou plus blanche, des gens avec des yeux bleus ou verts ». Les Tsiganes n’ont pas une origine unique et ont traversé des contrées diverses, notamment les pays slaves ou l’Allemagne où ils se sont mélangés à la population locale. Il y a donc de nombreux tsiganes aux yeux et aux cheveux clairs, des grands, des gros, des petits et des maigres…

Le 24 octobre, la police bulgare interroge un couple de Roms bulgares ayant « plusieurs enfants très blonds » et susceptibles d’être les parents biologiques de la mystérieuse fillette. Stupeur générale le 25 octobre lorsque les résultats des tests ADN tombent: Sacha et Atanas Roussev, ce couple de Roms bulgares vivant dans le sordide ghetto tsigane de Nikolaevo, dans le centre de la Bulgarie, sont bien les parents biologiques de la petite Maria. Ils sont aussi bruns de cheveux et noirs de peau que les parents qui ont élevé l’enfant. Et ont effectivement plusieurs enfants blonds ainsi que des oncles et des tantes… »Atanas et Sacha sont bruns, mais nous avons deux oncles blonds et certains des enfants sont comme eux », explique Filip Roussev, frère d’Atanas Roussev. Mais les policiers, les médias et de pseudo-scientifiques ne se contentent pas de cette simple évidence: des parents bruns au teint foncé – Roms ou pas – peuvent parfaitement avoir des enfants très blonds selon leur hérédité élargie. La piste de l’albinisme vient opportunément justifier les dérives des dernières semaines. Le teint pâle et les cheveux blonds de la petite Maria, découverte dans un camp Rom en Grèce, et de ses frères et soeurs en Bulgarie, pourraient s’expliquer par cette maladie génétique rare, selon le professeur Draga Tontcheva, de l’Académie de médecine de Sofia, qui parle avec délicatesse de « gènes défectueux ».

Pour la bonne mesure, les parents biologiques, qui ont neuf autres enfants vivant dans des conditions d’extrême dénuement sont également accablés par la presse et la justice grecque. On assure qu’ils n’ont pas hésité  à « vendre » leur enfant pour 500 leva (250 euros). « Nous n’avons pas pris d’argent. Nous n’avions pas assez pour la nourrir », assure pourtant, désespérée, Sacha Roussev. « Les Roussev étaient en Grèce pour la cueillette des poivrons, illégalement, sans contrat. Quand leur fille est née, ils ne pouvaient pas obtenir des papiers d’identité à son nom pour la ramener en Bulgarie. Cela coûte cher. Ils l’ont donc laissée à une famille », explique Anton Kolev, un cousin. Bref un des innombrables drames de la misère et de la migration sur lesquels les médias ne se jettent habituellement pas.

Le sort de « L’Ange Blond », dont l’appartenance à la communauté Rom est désormais avérée « en dépit de sa blondeur », reste incertain.  Mais les autorités grecques et bulgares ne semblent pas envisager un retour dans la famille biologique. L’enfant pourrait être confiée à un foyer ou une famille d’accueil en Bulgarie. Loin de la famille dans laquelle elle est née et loin de celle dans laquelle elle a grandi. Les services sociaux bulgares ont également tenté dans la foulée de placer trois des enfants mineurs des Roussev mais se sont heurtés à la résistance et à l’indignation de voisins de ce couple aujourd’hui visé par une enquête pour « abandon d’enfant ». Dans le ghetto tsigane de Nikolaevo, cette visite des services sociaux a ravivé des expériences douloureuses de nombreuses femmes Roms dont on a emmené les enfants et qui ne les ont jamais revus. Pour ces femmes démunies et souvent illettrées, ces placements abrupts, parfois suivis d’adoptions internationales, sont une plaie béante et constituent les seuls véritables « vols d’enfants ».

Isabelle Ligner

mardi 22 octobre 2013

Leonarda et la violence du droit.

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 Leonarda, trop photographiée par les médias est, surtout, une jeune fille qui souffre.

Le sort d'une jeune collégienne de 15 ans, de famille rom, Leonarda, a envahi la presse parce que la police s'est saisie d'elle, dans le cadre d'activités scolaires, afin de la conduire, avec ses parents, et ses cinq frères et sœurs, jusqu'à Mitroviça, au Kosovo. Les protestations ont fusé.

Au-delà de l'événement douloureux pour la jeune fille, mais à cause de cette intervention inappropriée, sur le parking du collège Lucie Aubrac (un comble !), dans le Haut Doubs, le 9 octobre, au cours d'une sortie scolaire en car, aux usines Peugeot, comme d'habitude, on invoque le droit.

Les enseignants de cet autre collège, (André Malraux, de Pontarlier), où était élève Leonarda, et ses camarades de classe, ainsi que les lycéens qui ont manifesté notamment à Paris, ont été choqués par ces pratiques brutales qui, droit ou pas, manifestent un irrespect flagrant d'une personne mineure.

Il y a lieu de s'interroger sur les fréquents recours au droit invoqués pour justifier la violence. Le Défenseur des droits, Dominique Baudis, a d'ailleurs ouvert une enquête sur l’expulsion. En outre, on peut poser des questions qui semblent ne pas préoccuper la plupart des journalistes et des hommes politiques, plus soucieux de se faire entendre et voir, que de considérer la réalité.

Peut-être peut-on se rappeler qu'en 1996 le Kosovo entrait en guerre civile et que les Roms, pris entre Albanais et Serbes, n'avaient pas pris nettement parti, ce qui allait les conduire à une répression implacable et donc à la dispersion dans plusieurs pays d'Europe. À Mitroviça, notamment, un quartier rom prospère avait été ravagé et il n'en est pas resté une seule pierre debout.

La famille Dibrani, originaire de cette ville, avait sans doute déjà fui le Kosovo puisqu'elle s'est retrouvée en Italie, à Fano, 17 années durant, jusqu'en 2008, avant les 4 années passées en France. Dimanche 20 octobre, la mère de Leonarda, Xhemaili, a été giflée par son ex-époux d'il y a 25 ans, et a été brièvement hospitalisée a-t-on appris, de source policière kosovare, et selon l'Express et Libération.
Le retour forcé au Kosovo, où les menaces physiques n'ont donc pas tardé, est bien une faute et Leonarda avait toutes raisons de le craindre. En outre, les six enfants ne parlent pas l'albanais mais le romani, l'italien et le français... « Sur les 2 850 Roms vivant à Mitrovica, seuls dix ont du travail», a affirmé Qazin Gushani, le représentant de la communauté rom à Mitroviça. La famille est hors d'état de vivre au Kosovo et on lui a, incontestablement, fait violence.

Les relations entre les pays d'Europe et le Kosovo ne sont pas claires. Cet état récent, indépendant depuis 2008, a beau avoir l'euro comme monnaie, il ne fait pas partie de l'Union européenne. L'origine kosovare du père n'en fait pas un habitant légitime du Kosovo aux yeux des autorités locales, et la naissance de cinq des enfants en Italie et un en France, non albanophones, ne plaide pas en faveur de leur réinsertion. On oublie aussi un peu trop vite Maria, l'ainée de Leonarda, 17 ans, actuellement en CAP, service hôtellerie.

Quoi qu'on puisse reprocher à la famille Dibrani et notamment au père, Resat (dont les larcins et les mensonges ont été complaisamment divulgués par le préfet du Doubs, Stéphane Fratacci, ex secrétaire général du ministère de l'Immigration sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy), les membres de la famille n'ont pas à subir les conséquences de ses erreurs éventuelles, pas plus lourdes que celles qu'on observe fréquemment dans notre pays, mais sans pareilles sanctions !

Contrairement à ce qu'affirme Najat Vallaud-Belkcaem, porte-parole du gouvernement, l'affaire n'est pas réglée. Les Dibrani devront quitter le Kosovo et retenteront un retour dans l'Union européenne, par la Croatie ou ailleurs. Le droit ne peut pas tout, et organiser la vie publique en oubliant que la fraternité fait partie de la devise républicaine, conduit à des impasses visiblement inintelligentes.

lundi 30 septembre 2013

Vous avez dit intégration ?




Voici sept siècles que les Rroms vivent en Europe. Ils ont toujours cherché à s'y intégrer. Ils y sont souvent parvenu car ils auraient, sinon, totalement disparu. Alors, de quelle intégration, parle-t-on, quand on les invite, incite ou contraint à s'intégrer ?

Intégrer dit le Grand Robert, c'est « faire entrer ». Pour qu'intégration il y ait, il faut donc que s'ouvre une porte. L'intégration, dit aussi le même dictionnaire, c'est « l'opération par laquelle un individu ou un groupe s'incorpore à une collectivité, à un milieu ». Incorporer ou s'incorporer, intégrer ou s'intégrer ? Si le verbe est transitif, intégrer devient indépendant de la volonté des personnes concernées ; si le verbe est pronominal, s'intégrer signifie vouloir prendre place dans une collectivité qui vous accepte et vous accueille. C'est tout différent !

La confusion tient en ceci : l'intégration passe par des phases ; elle est une opportunité, puis un processus puis un aboutissement. Il faut parfois plusieurs générations pour qu'une intégration soit achevée. L'étude des noms de familles témoigne de cette lente installation de familles dans un pays. Les Belkacem, Moscovici, Sarkozy, et autres Valls appartiennent à des lignées qui ne sont pas, d'un coup, devenues françaises !

Pour les Rroms, s'intégrer, (« vivre comme tout le monde ») signifie être considéré comme un humain, un concitoyen européen parmi d'autres ; cela ne veut pas dire pénétrer, à marche forcée, dans un ensemble où l'on n'est pas forcément bien reçu et où l'on a, du coup, peur d'entrer.

Mais ce n'est pas tout : les Français vivent, à présent, dans des familles monocellulaires. Il n'y a pas si longtemps, dans la France rurale, plusieurs couples vivaient sous le même toit. Ce n'est plus possible et nos habitats juxtaposent, à présent, les couples avec leur progéniture. Proposer aux Rroms une intégration dans des ensembles urbains où les familles larges ne peuvent plus cohabiter aboutit à détruire le mode de vie qui est le leur. Ils ne peuvent s'y résigner sans résistance. Et qui peut dire qu'ils ont tort !

Rabâcher sans cesse, à propos des Rroms : « il faut qu'ils s'intègrent », (et en une seule génération !), ne tient pas compte des diversités culturelles si l'on attend des Rroms qu'ils adoptent les habitudes vestimentaires, alimentaires, sanitaires... des autres Européens. À la vérité, nous demandons constamment aux Rroms d'aller ailleurs, même si, ailleurs, il leur sera tenu le même discours : « allez vivre plus loin » ! C'est une condamnation à la mort lente ! C'est un ethnocide eut dit Pierre Clastre, le célèbre anthropologue et ethnologue français (1934-1977).

L'intégration de 20 000 personnes (moins qu'il n'y a de communes en France, soit 0,003% de l'ensemble des habitants de notre pays) alors que des centaines de milliers, des millions d'Européens et d'Africains ont déjà fait souche sur notre territoire, ne peut être considéré comme une difficulté insurmontable. C'est donc ailleurs qu'il faut rechercher la cause de ce rejet grandissant des étrangers rroms, comme celui, encore vivace, ne l'oublions jamais, des Français qui sont Tsiganes, Gitans, Manouches ou Yéniches !

À la vérité, la cause de la montée de cette vague de haine, qui déborde, parfois, jusque dans les propos de maires et de ministres, doit être recherchée dans cette incompréhension de ce qu'est l'intégration véritable, laquelle n'a rien à voir avec celle qu'on reproche aux Roms de France comme aux Rroms en France de ne pas accepter. Les Tsiganes de France, quel que soit le nom qu'on leur donne, ne sont pas encore nos compatriotes à part entière puisqu'il sont soumis à des législations d'exception pour peu qu'ils vivent en habitats mobiles regroupés. La loi de 1969 les concernant, dont on retarde sciemment l'abolition, continue d'en faire des Français qui ne sont pas comme les autres ! Pour eux aussi, l'intégration véritable est loin d'être achevée. En sont-ils responsables ? La confusion, faite en 2010, par le précédent Président de la République, entre les étrangers (Roumains et Bulgares) et les Français (dits « gens du Voyage ») n'est pas effacée. Sous elle se cache, encore et toujours, cette inacceptation d'une vie non conforme au référentiel majoritaire.

L'intégration ne dépend donc pas de la seule volonté des intéressés. Elle ne peut s'accélérer. Elle demande du temps. Elle concerne aussi des Français marginalisés, tout aussi pauvres, (plus nombreux que les Rroms eux-mêmes). L'intégration des Rroms, enfin, ne résulte pas seulement de leur installation réussie dans les limites de notre pays ! C'est le résultat d'un double mouvement auquel la France, admettons-le, est mal préparée.

La République française est d'une part isolée, en Europe, et quasiment la seule à ne pas reconnaître les minorités culturelles. L'intégration de la plus nombreuse des minorités culturelles d'Europe, ne dépend pas que du bon vouloir d'un seul État-membre. Le sort des Rroms est davantage lié à l'avenir politique de l'Europe qu'à la pérennité des États-nations.

D'autre part, les Rroms qui, depuis le XIVe siècle, sont devenus des Européens, (et bien avant que les États allemand, italien, et bien entendu roumain, n'aient été constitués), ne sont que dans un second temps les ressortissants et les citoyens des pays où ils sont installés. Le pays des Rroms, finalement, c'est l'Europe tout entière et pas uniquement cette Union européenne où la France elle-même semble ne pas ... s'intégrer tout à fait !
Bref, l'intégration dont veulent bien, aujourd'hui, les Français (sous peine d'exclure les intéressés) c'est l'intégration au sein d'une nation à la française sur laquelle, d'un bout à l'autre de l'éventail politique, se crispent les tenants d'une identité nationale intouchable et close, mais obsolète. L'intégration dans la seule République française ne se fera pas, non par ce que les Rroms s'y refusent, mais parce que l'État français n'en crée pas, actuellement, les conditions.

Les Rroms sont des marqueurs de l'espace européen. Il n'y a pas d'Europe possible sans l'intégration effective des Rroms mais aussi de leur apport à notre histoire commune. L'intégration des Rroms d'Europe, c'est la mise en œuvre d'une concitoyenneté sans frontière telle qu'elle a commencé à se penser au niveau du Conseil de l'Europe avec ses 47 États.

Puissent les débats prochains qui vont s'engager en France, pour les élections municipales et, en principe, dans les 28 États de l'Union, pour les élections européennes, permettre de contribuer à l'élimination des idées fausses sur ce qu'est une intégration véritable, laquelle ne s'accorde ni ne se décrète, mais se construit et se déploie dans chacun des pays de notre très petit continent. 





 


mardi 30 juillet 2013

Noël Mamère, solidaire des Rroms



Les Roms ou la nouvelle question juive

Noël Mamère ose. Nous l'approuvons. 
Nous sommes menacés par la haine anti-Roms, anti-Juifs, anti-musulmans, anti-autres...

A chaque semaine, sa crise identitaire. La révolte de Trappes contre la loi sur la burqa à peine finie, l’affaire Bourdouleix éclate, remettant la question rom au centre du débat public. Sous sa forme la plus odieuse, l’obsession de l’Autre revient tarauder la société française en plein cœur.

Le sieur Bourdouleix, député et maire de Cholet, une ville moyenne de la France profonde, s’est donc illustré en brisant le dernier tabou avec cette « banalité » abjecte : « Comme quoi, Hitler n’en a peut-être pas tué assez »…
« Hitler, vous avez dit Hitler ?
– Bah oui, Hitler, pourquoi pas ? Lui, il avait su trouver une solution radicale pour régler le “ problème rom ”, hein ? ! »

En effet, entre 1939 et 1945, Hitler a fait assassiner de 500 000 à 750 000 Tziganes dans toute l’Europe. Ce génocide oublié, Gilles Bourdouleix n’en a cure. Son problème, c’est la coexistence de quelques familles de gens du voyage avec ses concitoyens qui, eux, votent aux prochaines municipales.

Comme son inspirateur, le député de l’UDI ne fait pas dans le « détail » et dépasse le maître. Là où Le Pen ne voyait qu’« une présence urticante et odorante », Bourdouleix fait appel à des références que le vieillard de Saint-Cloud ne prononce plus que mezzo voce après la campagne de dédiabolisation entamée par sa fille.


Le maire de Nice n'aime pas les Roms, Français ou pas. Nous ne lui laisserons pas la parole !

Le guide pratique de Christian Estrosi
Il fallait oser, le maire de Cholet l’a fait. Mais sa phrase à l’emporte-pièce n’est que l’arbre qui cache la forêt. Depuis le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, les Roms sont en tête du top ten du racisme dans notre douce France. La droite comme la gauche, dans des styles différents, en font les boucs émissaires de leur incapacité à gérer notre vivre ensemble.


A droite, pas de souci moral autre que celui du « pain au chocolat », la référence chère à Jean-François Copé. D’abord l’amalgame : tous les gens du voyage, qu’ils soient roms, manouches, tziganes, yéniches, gitans, sinté (nomades français, allemands ou italiens) sont logés à la même enseigne, sans distinction. Tous étaient naguère des Bohémiens, tous sont maintenant des Roms (en français, « hommes »), donc une sorte de peuple venu des ténèbres de la Roumanie profonde.

Ce racisme « ciblé » réduit à une seule origine ethnique une catégorie de la population qui n’a pourtant que le nomadisme comme seul point commun et qui pâtit en plus de l’utilisation des poncifs à haute dose, du genre : les gens du voyage ne seraient que des voleurs de poules, de portefeuilles et de bijoux, des gens sales, ne s’occupant pas de leurs enfants… Autant de stéréotypes qui stigmatisent l’ensemble d’une population n’apparaissant plus que comme un « problème ». Pour mater ces populations stigmatisées, Christian Estrosi n’a-t-il pas créé un guide pratique pour les élus en mal d’idées d’expulsion ? 

Manuel Valls sait parfaitement ce qu’il fait
Quant à la gauche, elle n’est pas en reste de dérapages verbaux, notamment chez des élus radicaux de gauche ou socialistes. Mais ce qui inquiète le plus, c’est bien la politique de Manuel Valls qui ressemble furieusement à celle de Nicolas Sarkozy.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les expulsions des campements dits « sauvages » sont près de deux fois plus nombreux que sous Sarkozy. Dès son arrivée au ministère de l’Intérieur, Manuel Valls en a fait le marqueur de son action, notamment lors de l’expulsion de Lille à l’automne dernier. Sous prétexte de faire respecter l’Etat de droit, il présente les camps de Roms comme des zones de non-droit, sans rien dire sur les élus qui ne respectent pas la législation sur les aires de caravanes.
En utilisant la justice comme arme de sa politique à deux vitesses, il installe dans l’opinion de la gauche et des démocrates l’idée que les Roms sont une catégorie de la population à mettre au ban de la société. Manuel Valls sait parfaitement ce qu’il fait en agissant ainsi : il veut s’inscrire dans le roman national entre Clémenceau et Ferry. Dans ce récit qui repose sur un consensus colonialiste et patriote, les Roms n’ont pas leur place.

Cachez ces roulottes que je ne saurais voir
Qu’il soit instrumentalisé par la droite ou par la gauche, cet apartheid qui ne dit pas son nom concentre tous les ingrédients du racisme : les Roms deviennent un peuple démonisé dans l’imaginaire collectif, un peu à la manière des Juifs avant guerre. Comme pour les Juifs, qui venaient eux aussi d’Europe de l’Est (Allemagne, Pologne, Roumanie, Russie, Ukraine), la thématique du peuple réputé dangereux, ayant un mode de vie inassimilable, est largement utilisée.

Comme pour les Juifs, les qualificatifs utilisés en termes de description physique et mentale, d’apparence, sont ignominieux. Comme pour les Juifs, c’est surtout leur mode de vie qui alimente le racisme dont ils sont victimes. Les Juifs habitaient dans des ghettos construits dès le Moyen Age, pour les isoler du reste de la population ; ils étaient assignés à certains types de travaux, ils ne pratiquaient pas la même religion que l’immense majorité des Français…


Aujourd’hui, alors que la sédentarisation est devenue la règle, la pratique assumée du nomadisme apparaît comme une hérésie. Cachez ces roulottes que je ne saurais voir. L’espace privé est considéré comme la norme absolue. Tous ceux qui vivent en habitat précaire, en caravanes, dans des yourtes ou des grottes aménagées, dérogent aux canons en matière de logement et deviennent des parias. Quand, en plus, ils prétendent occuper des espaces publics au cœur de nos cités, ils deviennent des éléments dangereux qu’il faut neutraliser.

Ce n’est certes pas la première fois que l’on pratique la chasse aux pauvres. Au XVIIe siècle, on s’en prenait aux Bohémiens considérés comme des rebuts de la société. Aujourd’hui, les gens du voyage sont devenus une caste d’intouchables que l’on montre du doigt. Il y a encore peu d’années, jusqu’en 1969, ils avaient l’obligation de posséder un carnet anthropométrique. Aujourd’hui, ils doivent détenir un carnet de circulation. La République française, qui se réclame de l’universalisme, a pourtant créé dans son histoire nombre de situations d’exceptions permanentes : le code de l’indigénat, le statut des Juifs, les camps de rétention, le carnet des Roms… A l’intérieur de notre République, ces situations relèguent des catégories particulières de citoyens. Il faut dénoncer et combattre cette exclusion à domicile.


 
Nous avons déjà enfermé les Tsiganes. Allons-nous recommencer ?

Réfléchir sur notre cloisonnement mortifère
Si les élus et les médiateurs de toutes sortes ont un rôle, c’est justement celui de permettre la coexistence de modes de vie, d’habitat et de consommation différents. La communauté nationale ne se différencie pas en fonction de l’origine, du sexe, du milieu social, du type d’habitat, de ses choix de vie… L’égalité suppose la reconnaissance des différences.

Je sais que ce discours est difficile à entendre, surtout dans les quartiers populaires qui concentrent les inégalités et les injustices de toute nature, mais c’est le seul qui peut fonctionner comme principe pour la gauche. Notre écosystème humain dans la ville est riche de notre diversité. Si on veut faire disparaître une partie de ses composantes, on affaiblit l’ensemble.

La visibilité des gens du voyage pose problème ? Tant mieux. Je refuse une société où le principe de la séparation triompherait, une ville à trois vitesses, des ghettos de riches, de bobos, de pauvres qui se referment sur eux-mêmes. L’existence d’une population mobile par définition nous oblige à réfléchir sur ce cloisonnement mortifère. La « gentrification » de nos villes implique la négation des modes de vie qui ne se plient pas à ces nouvelles règles de l’urbanisation capitaliste.

Par sa petite phrase, le maire de Cholet a voulu sortir définitivement de l’histoire des hommes et des femmes auxquels on a jamais voulu donner leur place. 

http://blogs.rue89.com/chez-noel-mamere/2013/07/30/les-roms-ou-la-nouvelle-question-juive-230877

lundi 24 juin 2013

Intégration, minorité, mode de vie des Roms

 Pour un débat...

Sur la minorité rom



On ne parle d'intégration que parce qu'il y a une partie du corps social qui n'est pas totalement « dedans ».

Dedans... quoi ? Dans la République française, bien évidemment. Quand on fait entrer un groupe dans le « creuset » républicain où il doit se fondre, il se produit un double effet : d'une part la majorité s'enrichit d'un apport (ou le détruit), d'autre part la minorité donne ce qu'elle amène (ou rien) et disparaît.

S'agissant des Roms, on observe que, Français ou étrangers, ils restent une minorité « à part ». C'est donc le rapport majorité/minorité(s) qui est mis en évidence par l'absence d'intégration, qu'on la veuille ou qu'on la craigne.

La France ne se pense unie qu'en « oubliant » ses minorités. Sa constitution néglige de signaler leur existence. Le « peuple français » est, selon notre organisation politique, un et indivisible1, donc (croient les constitutionnalistes) sans distinctions possibles.

Bien entendu, ce refus politique de reconnaître les minorités dans la nation a pu constituer, dans le passé, un ciment historique qui a servi à souder les Français entre eux, dans des périodes tragiques. Ce même refus a aussi été cause de conflits qui, pendant longtemps, ont dressé, les uns contre les autres, des Français qui se sentaient niés (Bretons, Basques, Corses, Occitans...) contre ceux qui voulaient protéger l'unité de l'État.

Ce temps est révolu car, même si des tensions subsistent (notamment en Corse et au pays basque), on commence à admettre que la pluralité (linguistique, ethnique, religieuse ou autre) ne nuit pas nécessairement à l'unité, pour peu que l'éducation, la laïcité, l'ouverture européenne, permettent de sortir à jamais la France des conflits qu'elle a connus, en interne comme en externe, au cours des deux avant-derniers siècles !

Car il ne suffit pas de ne pas reconnaître les minorités pour qu'elles n'existent pas. La France comme tous les pays du monde, et d'Europe en particulier, mais plus encore comme pays de forte immigration liée en partie à son histoire coloniale, est peuplée de minorités françaises ou étrangères, d'origines multiples. Cette complexité est une chance et une force. La proximité de modes de vie différents qui en résulte facilite même une évolution très progressive des pensées et des mœurs.

Les Roms jouent leur rôle dans cette transformation continue, incessante, très lente du corps social. Première minorité culturelle par leur nombre en Europe, ils influencent, depuis des siècles, qu'ils soient Roms de France ou Roms en France, la vie commune, en positif comme en négatif, aux yeux des non-Roms ou gadjé qui, depuis fort longtemps, parfois les admirent ou parfois les rejettent.

Reconnaître les minorités2, dont la minorité rom, est une exigence politique à laquelle l'État français est rebelle. Ainsi n'avait pas été prise en considération la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU, dans sa résolution 47/135 du 18 décembre 19923.

La quasi-totalité des États membres du Conseil de l'Europe (39 États sur 47) ont signé et ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales4, traité ouvert à la signature des Etats membres, dès le 1er février 1995. Quatre États seulement ne l'ont toujours pas signée : Andorre, la France, Monaco et la Turquie (à cause de la minorité kurde). Quatre États l'ont signée mais pas encore ratifiée. Il s'agit de la Belgique, la Grèce, l'Islande et le Luxembourg.

Il en va de même pour la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires5 de novembre 1992, que la France avait signé, avec bien des réserves, mais pas ratifiée au prétexte que l'article 2 de sa constitution stipule que « La langue de la République est le Français ». François Hollande a d'ailleurs annoncé, en mars 2013, sans que cela remue les foules, qu'il renonçait à ratifier la charte européenne des langues régionales et minoritaires, contrairement à l'engagement 56 de son programme.

Le différend est majeur entre ceux qui pensent que la reconnaissance du droit des minorités, comme des langues régionales ou minoritaires (dont le romani), risque de porter atteinte à l'unité de la France et ceux qui estiment, au contraire, que l'unité n'est pas l'unicité et que la diversité ne saurait nuire à la solidarité des citoyens ainsi qu'il apparaît, à l'évidence, dans de nombreux autres pays.

C'est sous cette éclairage qu'il faut placer le débat sur l'intégration des Roms, qui n'est qu'un avatar d'un débat politique, linguistique, philosophique plus profond où c'est la conception même de notre idée de la France unie et diverse, comme veut l'être l'Europe, qui est en cause, en ce début de XXIe siècle, à quelques mois des prochaines élections européennes de 2014.

(à suivre...)

La France seule
... à ne pas reconnaître les minorités !

1 Article premier : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ».
3   Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques,