jeudi 12 décembre 2013

Pire que Guéant et Hortefeux réunis ?

Monsieur le ministre,

...Je vous ai écouté à France-Inter; puis à RMC, chez Jean Jacques Bourdin. Mal réveillé, j’ai cru entendre un dirigeant du Front national. J’ai même un moment pensé que, journaliste bien-pensant, vous interviewez le ministre de gauche : J.J. Bourdin.

...Un peu d’eau fraîche sur le visage comme jadis, le matin, dans les "camps de concentration" d’Argelès, de Barcarès, où furent accueillis nos parents Républicains espagnols, et me voilà lucide.

...Non je ne rêvais pas.

Il s’agit bien du ministre hollandien de l’Intérieur, Catalan naturalisé Français en 1982, et pas d’Albert Sarraut, ni de Daladier, déjà ministres des barbelés "de gauche", dans les années 1930.

Il y a en France environ 20 000 Roms, oui vous avez bien lu : "seulement" 20.000, mais si l’on en croit le ministre des "expulsions forcées" (dénoncées par l’agence moscoutaire Amnesty International), ils menacent la sécurité de notre pays, plus que le chômage, les huit millions et demi de pauvres, les coûts ravageurs de l’accumulation du capital, la "Françafrique", les ripoux en col blanc, les vampires du CAC40, les licencieurs boursiers...

Les Roms, les "voleurs de poules", voilà le danger, voilà le nouveau bouc-émissaire stigmatisé pour faire peur au "petit peuple", pour faire avaler l’austérité "de gauche", les trahisons, les reniements de ce gouvernement "caniche des États-Unis", un rôle que ne veulent même plus jouer les Anglais.

Comme nous ne sommes pas aux États-Unis, on ne peut pas autoriser le port d’armes contre les Roms...Mais il y a des mots souvent aussi redoutables que les armes. Écoutons le ministre "socialiste" tourner en rond : "Il est illusoire de penser que l’on règlera le problème (des Roms) par l’insertion". Pas besoin par conséquent de "stratégie d’intégration" comme le demande Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne. Les Roms "ont vocation à retourner en Roumanie et en Bulgarie". Place donc aux pandores. Les Roms sont sans doute insolubles dans la civilisation... "Une majorité doivent être reconduits à la frontière" (M.Valls). Au nom de cette "libre circulation" garantie par les accords et traités européens ? Les Roms, c’est bien connu, sont réfractaires à "l’insertion", au droit à la santé, à l’éducation, au logement...Le ministre se flatte d’avoir démantelé 242 "campements", depuis le premier janvier 2013, ...11 982 migrants jetés à la rue et confrontés à une exclusion et une précarité redoublées. Rien ou si peu leur est proposé à la place.

"Être de gauche" pour vous paraphraser Monsieur, ce n’est pas valser avec Guéant et Hortefeux, ce n’est pas être le chouchou de la droite pour des raisons carriéristes, c’est faire la chasse aux exploiteurs sans foi ni loi, à ceux qui "s’enrichissent en dormant", pas aux pauvres.

"Être de gauche", c’est avoir un coeur solidaire, ce n’est pas patauger dans les marécages pourris qui font le jeu du Front National,nous resservir la "guerre des civilisations", c’est préférer Jaurès à ce Clémenceau que vous aimez tant.

C’est être avec les communards contre Thiers et les Versaillais, c’est considérer que l’autre, "l’étranger", est un autre vous-même, que vous n’existez que par lui.

Mais pour comprendre tout cela, Manolo, il faut être de gauche.

Qu’escomptez-vous Manuel Valls ? Donner des gages à l’extrême-droite pour acquérir le statut de "présidentiable" ? A ce prix, vous vous déshonorez et, avec vous la fonction que vous occupez.


De l'impossible citoyenneté des Rroms


L'exemple de la très difficile inscription sur les listes électorales


Rrom ou pas, tout ressortissant de l'un des 28 pays membres de L'Union Européenne, vivant en France, en âge de voter et n'ayant pas perdu ses droits civiques, pourra participer aux élections municipales (les 23 et 30 mars 2014) ainsi qu'aux élections européennes (le 25 mai 2014)1. Il pourra même se porter candidat. Éventuellement élu conseiller municipal, il ne pourrait, cependant, participer, comme délégué de sa ville, aux élections sénatoriales partielles (septembre 2014) car les élections parlementaires -Assemblée nationale ou Sénat- sont réservées aux seuls Français !

Voter n'est pas, et de loin, le tout de la citoyenneté. Cela en fait néanmoins partie. L'examen des conditions d'exercice du droit de vote importe d'autant plus que la réglementation dissimule souvent les discriminations dont certains électeurs ayants droit font l'objet.

Cela commence par l'inscription sur les listes électorales2. Le Ministère de l'Intérieur français publie, avant chaque consultation, le rappel des textes encadrant l'accès aux bureaux de vote. Avant le 31 décembre, minuit, de l'année précédant celle du vote, les électeurs étrangers en droit de voter doivent se faire inscrire sur les listes électorales ad hoc, qui sont distinctes des listes des électeurs français. Cette discrimination, qu'on la juge ou non nécessaire, place à part, d'entrée, une partie du corps électoral.

Mais ce n'est pas tout : si un électeur français est inscrit une fois pour toutes (et même automatiquement dès qu'il atteint 18 ans), un électeur étranger devra, lui, se réinscrire à chaque scrutin sur la liste spéciale prévue à cet effet.

Mais ce n'est pas tout : il est établi une liste par scrutin ! En 2014, donc, un électeur bulgare ou polonais ou belge..., voulant voter en France devra se faire inscrire sur deux listes spéciales différentes, dites « complémentaires » : celle ouverte pour les élections municipales et celle ouverte pour les élections européennes. Des documents d'inscription distincts (formulaires CERFA, l'un pour les municipales3, l'autre pour les européennes4), sont accessibles, sur internet, pour ceux qui voudraient préparer leurs documents avant de se rendre en mairie, s'ils préfèrent envoyer leur demande d'inscription par courrier, ou même s'ils n'hésitent pas à effectuer cette inscription en ligne.
La faible participation des électeurs étrangers trouve ici son explication principale : rien n'est fait pour simplifier l'inscription et l'aligner sur les possibilités ouvertes aux autres électeurs, de nationalité française. C'est un choix politique : le droit de vote des étrangers aux élections locales, inévitable pour les concitoyens de l'Union européenne, est néanmoins freiné. Il est, du reste, toujours empêché pour les étrangers vivant en France, même depuis longtemps, et non ressortissants de l'Union européenne (Algériens, Maliens, Suisses..., entre autres). Les Rroms, qui se retrouvent dans l'une ou l'autre des deux catégories (un Rrom croate, roumain ou slovaque peut voter ; un Rrom serbe, kosovar ou turc ne le peut pas !), ne comprennent rien à cette distinction.


Mais ce n'est encore pas tout : pour pouvoir s'inscrire, il faut, en plus du formulaire CERFA « dûment renseigné », présenter un titre d'identité récent (cette exigence-là est compréhensible et facile à satisfaire), fournir un justificatif de domicile nominatif, tel qu'une facture, de moins de trois mois (que les personnes françaises ou étrangères, vivant en habitat mobile, n'obtiennent pas aisément5), et rédiger une déclaration sur l'honneur (mentionnant nationalité, adresse et non déchéance du droit de vote dans le pays d'origine !).

L’électeur européen reçoit, à partir du 1er mars de l’année suivante, une carte électorale d’un modèle particulier, valable seulement pour les élections municipales et/ou européennes. Il faut, en outre, bien comprendre que l'inscription sur la liste complémentaire européenne permet de voter pour les représentants français au parlement européen, mais prive l'électeur étranger vivant en France de la possibilité de voter pour les représentants de son propre pays au sein de ce même parlement.

Et ce n'est toujours pas tout : pour ceux des Rroms électeurs étrangers, roumains par exemple, – ils sont de loin les plus nombreux – qui vivent dans la précarité d'un habitat nécessairement temporaire, il n'est pas d'autre possibilité d'obtenir un certificat de domicile qu'en obtenant leur inscription auprès d'un Centre communal d'action sociale, dit CCAS, ou d'un organisme agréé par le Préfet6. Il est alors possible de disposer d'une « attestation d'élection de domicile » (voir le formulaire CERFA n°13482-027), laquelle « peut être utilisée par son titulaire » notamment pour s'inscrire sur une liste électorale.

Cette complexité conduit les Rroms ressortissants de l'Union Européenne, mais aussi nombre d'étrangers résidant en France, à une majorité de renoncements à faire valoir son droit. Il n'est à cela que deux parades possibles : soit obtenir des services municipaux une information, un encouragement et une aide administrative facilitant l'inscription, soit recevoir le soutien d'un bénévole, lui-même informé et décidé, acceptant d'accompagner les intéressés.

Les Rroms, une fois de plus, sont les révélateurs de détournements de la démocratie. Car il s'agit bien de cela : ce « parcours du combattant », cet abandon à eux-mêmes de concitoyens européens vulnérables, perdus dans le labyrinthe des administrations, met en évidence la prégnance d'un comportement nationaliste. « Les Français d'abord » est une fausse évidence, un principe depuis longtemps développé par l'extrême-droite et qui apparaît, aujourd'hui, jusque dans la pratique administrative, comme du bon sens, alors que l'égalité des droits et donc des ayants-droit nécessite une autre approche. Inutile de se réclamer de l'Europe si tous les électeurs renouvelant le même parlement ne sont pas, dans chaque État, traités de la même manière. 

 


5 Pour les personnes hébergées est demandée une attestation manuscrite et la photocopie de la pièce d'identité de l'hébergeant et une preuve de l'attache de l'hébergé avec la commune (bulletin de salaire ou tout autre document sur lequel figure l'adresse de la personne hébergée).
Voir aussi le Code de l'action sociale et des familles (Article L264-1) :
« Pour prétendre au service des prestations sociales légales, réglementaires et conventionnelles, à l'exception de l'aide médicale de l'Etat mentionnée à l'article L. 251-1, ainsi qu'à la délivrance d'un titre national d'identité, à l'inscription sur les listes électorales ou à l'aide juridique, les personnes sans domicile stable doivent élire domicile soit auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale, soit auprès d'un organisme agréé à cet effet ».