mardi 29 octobre 2013

« L’Ange blond »

L'article ci-dessous, paru dans Dépêches Tsiganes, est d'une importance telle qu'il nous semble indispensable de le reproduire.

La violence du racisme à l’égard des Roms

L’affaire de « l’Ange blond » a éclaté le 16 octobre en Grèce lorsqu’une petite fille à la peau et aux cheveux clairs et aux yeux verts a « attiré l’attention de la police » alors qu’elle jouait dans un quartier Rom de Farsala, dans le centre du pays, avec « quatre autres enfants au teint mat ». Ce sont donc les caractéristiques physiques de l’enfant qui ont suscité les soupçons des policiers présents. Leur méfiance a été confortée lorsqu’ils ont appris que la femme et l’homme qui élevaient la fillette étaient bruns à la peau foncée. C’est donc ce stéréotype d’un autre âge – selon lesquels tous les tsiganes seraient « noirs de peau et d’âme » qui a été repris par les médias et les polices du monde entier, visiblement persuadés qu’une pseudo « race » homogène brune et « basanée » ne peut avoir des enfants blonds aux yeux clairs.

La violence du racisme à l’égard des Roms, propagée dans l’emballement médiatique le plus total, a fait ressurgir le mythe séculaire des tsiganes voleurs d’enfants


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Cette logique a été appliquée par le passé au nom d’un eugénisme meurtrier: lors de la Seconde Guerre mondiale, les nazis et les régimes pro-nazis d’Europe ont exterminé les tsiganes sur ces critères physiques de « race » et sur leur prétendu caractère « asocial ».
La décision de retirer la petite Maria à la famille Rom qui l’élevait a donc été prise sur des bases dangereuses sans pour autant qu’aucun garde-fou ne fonctionne pendant plusieurs jours, ni au plan politique, ni au plan médiatique. Cette affaire a engendré une hystérie mondiale ravivant la vieille terreur populaire du rapt d’enfant par des Bohémiens. Courante au 19ème et au début du 20ème en Europe, cette légende à la vie dure est à l’époque également propagée par la presse sur fond de défiance et de répression croissante à l’égard des populations « nomades ». La presse présente alors les tsiganes comme les « plaies des campagnes » sans pour autant oublier d’insister lourdement sur les dangers supposés que représente leur marmaille nue et sale dans des villes où explose la misère. Exclusion sociale  de tsiganes considérés comme faisant partie des « classes dangereuses » et rejet sur des critères « ethniques » alimentaient alors les fantasmes les plus racistes. Les choses ont-elles vraiment changé en 2013 ?

Ce thème imaginaire de l’enfant volé, qui était souvent accompagné d’accusations de cannibalisme, a été abondamment repris dans les proverbes et la littérature européenne. « Endors toi vite ou une tsigane viendra te voler », dit-on parfois aux enfants en Russie. « Ne traîne pas dans la rue ou les camps volants t’emporteront », disait-on encore dans les années 1970 dans plusieurs provinces françaises. En littérature, « La Petite Gitane » de Miguel de Cervantès, publiée en 1613, fait figure d’oeuvre majeure dans la propagation de la rumeur.  Dans cette nouvelle, l’auteur du Quichotte met en scène une jeune Gitane, Preciosa, qui fascine les hommes par sa beauté et sa voix. Afin d’obtenir sa main, un jeune noble accepte de vivre comme un Gitan pendant deux ans. A son grand soulagement, il découvrira que la belle est en réalité une Noble kidnappée par des gitans dans son enfance… Cervantès, comme bien d’autres après lui, oscille entre diabolisation et idéalisation des gitans. Les premières lignes de son texte sont sans équivoque:  « Il semble que gitans et gitanes ne soient venus au monde que pour être voleurs: nés de parents voleurs, élevés parmi des voleurs, ils mettent leur étude à devenir voleurs et, en définitive, finissent par être voleurs tout le temps, comme on respire: avoir envie de voler et voler sont chez eux comme des accidents inséparables dont on ne se défait qu’avec la mort. »
Semblant souscrire à cette thèse du tsigane voleur tout court, et singulièrement voleur d’enfant, le directeur régional de la police pour la région centrale de Thessalie, Vassilis Halatsis, déclare à la presse immédiatement après la découverte de la fillette qu’elle pourrait avoir été « enlevée dans un hôpital » à sa naissance.

Peu de médias – en Grèce, en France, comme ailleurs, ont trouvé opportun de souligner que cette affaire avait éclaté dans un pays traversant une profonde crise économique, sociale et politique, marquée notamment par la résurgence d’un courant néo-nazi. Pratiquement aucun n’a rappelé le triste bilan des autorités grecques en matière d’accueil des migrants et singulièrement des Roms. Les discriminations infligées aux Roms par les autorités grecques, notamment la ségrégation scolaire, sont pourtant dénoncées depuis des années par les instances européennes et des ONG.  « On a trouvé une enfant blonde à la peau claire. On ne se soucie pas de ceux à la peau foncée, aux cheveux bruns, qui n’ont pas accès à l’éducation ou au confort sanitaire », résume  le président de l’association grecque Mitera (« Mère »), Dimitri Vezyrakis.

Le surnom donné par la presse grecque (les quotidiens Ta Nea et Ethnos) puis mondiale à la petite Maria, « l’Ange blond », s’est chargé de réactiver dans l’imaginaire collectif les visions les plus manichéennes et irrationnelles selon lesquelles la pureté enfantine d’une petite gadgi (non-tsigane) serait menacée par des êtres dont la couleur sombre évoque des alliés du diable.  Avant même d’élucider l’affaire, la petite fille est retirée au couple qui l’élevait, subit des examens médicaux et est placée par les services sociaux dans une institution administrée par une association de « bienfaisance » baptisée « le sourire de l’enfant ». Institution qui communiquera tous azimuts avec les médias de manière, disons, pour le moins surprenante. Deux clichés de police font le tour du monde. Fonctionnant sur le mode du « Avant/Après », ils  valident l’idée que la petite fille était négligée par le couple de Roms incriminés et est désormais bien traitée par les autorités auxquelles elle a été confiée: sur le premier, Maria apparait vêtue d’un jogging froissé, avec de petites nattes sortant d’une tête ébouriffée, le visage sale. Sur le second, sa chevelure est coiffée, son visage propre et elle esquisse un sourire.
La fillette, âgée d’environ 4 ans, « a la peau blanche, des cheveux blonds et des yeux verts, des traits complètement différents de ceux de ses parents présumés », explique la police dans un communiqué avant de faire une demande officielle d’aide à Interpol pour identifier l’enfant. Les autorités du foyer n’hésitent pas à affirmer que la fillette, qui parle le romani et comprend le grec, est « apaisée » et heureuse de son sort car « pour la première fois, elle est avec des gens qui prennent soin d’elle ». Des tests ADN viennent appuyer les soupçons des enquêteurs: le couple qui élevait Maria n’a aucun lien de filiation biologique avec elle.

Le 21 octobre, ce couple constitué d’un Rom grec de 39 ans et de sa femme, âgée de 40 ans, sont inculpés pour « enlèvement » et placé en détention alors qu’ils affirment que la mère biologique de l’enfant, une Rom bulgare leur avait confié le bébé. Ils sont accusés d’avoir « acheté » Maria et d’autres enfants pour toucher des aides sociales à l’aide de faux papiers. La police et la presse les qualifient alors de « faux parents ». « Il n’y eu aucun enlèvement, aucun vol, aucun trafic. Ils n’ont pas acheté l’enfant », affirment leurs avocats sans parvenir à couper court aux spéculations hasardeuses. La mère biologique était selon eux « une femme qui ne pouvait pas élever cette enfant et qui par l’intermédiaire d’une tierce personne l’a confiée au couple en 2009 peu après sa naissance ».
Dans le quartier Rom où vivait « l’Ange blond », l’indignation règne face aux accusations visant un couple ayant élevé l’enfant « comme sa fille » et face aux conséquences désastreuses de cette affaire en terme de discriminations et de racisme. Plusieurs Roms du quartier s’emportent contre les « mensonges » des médias qui ont raconté que Maria vivait « enfermée et parmi les ordures ». Plusieurs enfants Roms réclament le retour de leur camarade de jeu. « Tout le monde connaissait l’enfant, la police la connaissait, elle se baladait dans le camp, elle allait au supermarché, à Larissa (la grande ville voisine de Farsala ndrl), dans les mariages où nous étions invités », explique Charalambos Dimitriou,  l’un des responsables de la communauté des Roms de Farsala, représentant environ 2.000 personnes. « Et un beau jour, la police arrive et prend l’enfant, pourquoi ? Nous ne volons pas, nous ne tuons pas », dénonce-t-il, précisant que la mère biologique de Maria était une Rom bulgare venue travailler dans les champs alors qu’elle était enceinte et n’ayant pu repartir avec elle dans son pays.

Chez les Tsiganes, traditionnellement la parenté s’exerce de manière très large et l’autorité parentale ne se résume pas à une forme de « propriété » de l’enfant exercée par ses parents comme cela peut être le cas chez les gadgé. Face à l’hostilité rencontrée chez les non-tsiganes, la famille est un refuge précieux. Les mariages sont souvent précoces et les familles nombreuses contrastent avec la baisse de la natalité voire l’infertilité dans le reste des populations européennes. La croyance populaire tenace sur le rapt d’enfants par des tsiganes fait d’ailleurs sourire beaucoup de Roms et de voyageurs: « comme si nous n’en avions pas déjà assez ! », ironisent-ils. Le chavoro (enfant en romani) est souvent chéri à l’extrême même s’il a sept ou 10 frères et soeurs et si son mode d’éducation est totalement différent de ce qui est attendu par le reste de la société, notamment en terme d’apparence et de scolarisation. Dans le cadre d’une conception très élargie de la famille, l’enfant peut, au gré des difficultés de ses parents, ou de son propre intérêt, être confié de manière informelle à un oncle ou un autre Rom considéré comme « allié » de la famille des parents biologiques. Ainsi il n’est pas rare pour des couples Roms et pour des couples de voyageurs français d’avoir de nombreux enfants biologiques et d’avoir également élevé un ou plusieurs autres enfants sans que ces « adoptions » ne soient formalisées.
Mais cette version des faits ne satisfait pas les délires de la police et des médias qui préfèrent se focaliser sur des dizaine de cas d’enfants disparus originaires d’au moins quatre pays: Etats-Unis, Suède, Pologne et France. A la recherche d’une « histoire plus croustillante », médias et policiers n’hésitent pas à réveiller le fol espoir de dizaines de familles dont les enfants ont disparu dans le monde entier. Le « sourire de l’enfant » est assailli de quelque 9.000 coups de fil signalant des histoires différentes, la plupart sans aucun rapport avec l’âge ou l’aspect physique de Maria.
Pendant ce temps, en Irlande, les policiers grecs font des émules: deux enfants blonds sont retirés à leurs familles Roms en Irlande après des appels de délation à la police mettant en avant l’absence de ressemblance physique entre ces enfants et leurs familles. La presse parle de « cas équivalents » à celui de Maria. Une petite blondinette de 7 ans est notamment retirée à ses parents dans la banlieue de Dublin en vertu de la loi sur la protection infantile. Pourtant ces derniers avaient affirmé aux policiers qu’il s’agissait bien de leur fille, née en 2006, en produisant un certificat de naissance et un passeport, considérés comme faux. Mais dans les deux cas irlandais, les tests ADN confirment le lien de parenté et l’enquête la validité des papiers présentés. Face au tollé que déclenchent ces affaires emblématiques, le Premier ministre irlandais Enda Kenny n’en assure pas moins qu’aucun groupe n’est « ciblé » par la police et les services sociaux. « Il ne faut pas voir cela comme une question relative à un groupe ou une minorité en particulier, il s’agit (de la sécurité) des enfants », tente-t-il de relativiser. L’ONG irlandaise Integration Centre fustige des « décisions prises sur la base d’une hystérie de journalisme tabloïd », soulignant que la raison qui avait poussé la police irlandaise à agir est que les « enfants ne ressemblait pas au stéréotype du Rom ». Amnesty International appelle pour sa part « les autorités à ne pas cibler les Roms en tant que minorité ethnique », estimant que « susciter la perception que l’appartenance ethnique peut être liée à la criminalité est discriminatoire…a pour effet de nourrir les stéréotypes racistes ». L’association irlandaise de défense des Roms et des gens du voyage Pavee Point renchérit en demandant une enquête « totalement indépendante » sur ces affaires, dénonçant une « grave transgression ». « Les parents concernés « demandent maintenant avec raison pourquoi leurs enfants leur ont été pris dans des circonstances où il n’y avait absolument aucune preuve, au-delà de la suspicion de personnes anonymes », écrit le Irish Independent, soulignant que « dans les deux cas les enfants avaient des vies heureuses au sein de leur famille ».

Le 24 octobre,  le Centre européen des droits des Roms (ERRC), basé à Budapest, met en garde contre les dangers de ces jugements hâtifs et de la propagation du stéréotype du Rom « voleur d’enfants », demandant notamment aux médias de relayer les enquêtes en cours « sans tomber dans le piège d’attribuer la responsabilité à toute la communauté rom ».  « Le plus important est bien sûr l’intérêt des enfants (…). Si quelqu’un n’a pas respecté la loi, il doit comparaître devant la justice », estime son président Dezideriu Gergely. Mais en cas de délit avéré, rappelle-t-il « la responsabilité devant la loi doit être individuelle ». Il faut donc éviter « d’extrapoler à la communauté entière » tel ou tel fait divers. « C’est comme si prenions une affaire de corruption, et à la place de +Rom+, nous écrivions +Français+ ou +Allemand+, est-ce que cela voudrait dire que tous les Allemands sont tous corrompus, parce que un ou deux sont accusés? », souligne-t-il. Cette affaire « crée des stéréotypes selon lesquels les Roms volent des bébés », insiste-t-il, soulignant les surenchères possibles, pouvant aller jusqu’au lynchage, notamment de la part de mouvements d’extrême-droite.  Et il rappelle une évidence: « Il y a au sein de la communauté rom des groupes qui n’ont pas la peau foncée, qui ont la peau blanche ou plus blanche, des gens avec des yeux bleus ou verts ». Les Tsiganes n’ont pas une origine unique et ont traversé des contrées diverses, notamment les pays slaves ou l’Allemagne où ils se sont mélangés à la population locale. Il y a donc de nombreux tsiganes aux yeux et aux cheveux clairs, des grands, des gros, des petits et des maigres…

Le 24 octobre, la police bulgare interroge un couple de Roms bulgares ayant « plusieurs enfants très blonds » et susceptibles d’être les parents biologiques de la mystérieuse fillette. Stupeur générale le 25 octobre lorsque les résultats des tests ADN tombent: Sacha et Atanas Roussev, ce couple de Roms bulgares vivant dans le sordide ghetto tsigane de Nikolaevo, dans le centre de la Bulgarie, sont bien les parents biologiques de la petite Maria. Ils sont aussi bruns de cheveux et noirs de peau que les parents qui ont élevé l’enfant. Et ont effectivement plusieurs enfants blonds ainsi que des oncles et des tantes… »Atanas et Sacha sont bruns, mais nous avons deux oncles blonds et certains des enfants sont comme eux », explique Filip Roussev, frère d’Atanas Roussev. Mais les policiers, les médias et de pseudo-scientifiques ne se contentent pas de cette simple évidence: des parents bruns au teint foncé – Roms ou pas – peuvent parfaitement avoir des enfants très blonds selon leur hérédité élargie. La piste de l’albinisme vient opportunément justifier les dérives des dernières semaines. Le teint pâle et les cheveux blonds de la petite Maria, découverte dans un camp Rom en Grèce, et de ses frères et soeurs en Bulgarie, pourraient s’expliquer par cette maladie génétique rare, selon le professeur Draga Tontcheva, de l’Académie de médecine de Sofia, qui parle avec délicatesse de « gènes défectueux ».

Pour la bonne mesure, les parents biologiques, qui ont neuf autres enfants vivant dans des conditions d’extrême dénuement sont également accablés par la presse et la justice grecque. On assure qu’ils n’ont pas hésité  à « vendre » leur enfant pour 500 leva (250 euros). « Nous n’avons pas pris d’argent. Nous n’avions pas assez pour la nourrir », assure pourtant, désespérée, Sacha Roussev. « Les Roussev étaient en Grèce pour la cueillette des poivrons, illégalement, sans contrat. Quand leur fille est née, ils ne pouvaient pas obtenir des papiers d’identité à son nom pour la ramener en Bulgarie. Cela coûte cher. Ils l’ont donc laissée à une famille », explique Anton Kolev, un cousin. Bref un des innombrables drames de la misère et de la migration sur lesquels les médias ne se jettent habituellement pas.

Le sort de « L’Ange Blond », dont l’appartenance à la communauté Rom est désormais avérée « en dépit de sa blondeur », reste incertain.  Mais les autorités grecques et bulgares ne semblent pas envisager un retour dans la famille biologique. L’enfant pourrait être confiée à un foyer ou une famille d’accueil en Bulgarie. Loin de la famille dans laquelle elle est née et loin de celle dans laquelle elle a grandi. Les services sociaux bulgares ont également tenté dans la foulée de placer trois des enfants mineurs des Roussev mais se sont heurtés à la résistance et à l’indignation de voisins de ce couple aujourd’hui visé par une enquête pour « abandon d’enfant ». Dans le ghetto tsigane de Nikolaevo, cette visite des services sociaux a ravivé des expériences douloureuses de nombreuses femmes Roms dont on a emmené les enfants et qui ne les ont jamais revus. Pour ces femmes démunies et souvent illettrées, ces placements abrupts, parfois suivis d’adoptions internationales, sont une plaie béante et constituent les seuls véritables « vols d’enfants ».

Isabelle Ligner

mardi 22 octobre 2013

Leonarda et la violence du droit.

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 Leonarda, trop photographiée par les médias est, surtout, une jeune fille qui souffre.

Le sort d'une jeune collégienne de 15 ans, de famille rom, Leonarda, a envahi la presse parce que la police s'est saisie d'elle, dans le cadre d'activités scolaires, afin de la conduire, avec ses parents, et ses cinq frères et sœurs, jusqu'à Mitroviça, au Kosovo. Les protestations ont fusé.

Au-delà de l'événement douloureux pour la jeune fille, mais à cause de cette intervention inappropriée, sur le parking du collège Lucie Aubrac (un comble !), dans le Haut Doubs, le 9 octobre, au cours d'une sortie scolaire en car, aux usines Peugeot, comme d'habitude, on invoque le droit.

Les enseignants de cet autre collège, (André Malraux, de Pontarlier), où était élève Leonarda, et ses camarades de classe, ainsi que les lycéens qui ont manifesté notamment à Paris, ont été choqués par ces pratiques brutales qui, droit ou pas, manifestent un irrespect flagrant d'une personne mineure.

Il y a lieu de s'interroger sur les fréquents recours au droit invoqués pour justifier la violence. Le Défenseur des droits, Dominique Baudis, a d'ailleurs ouvert une enquête sur l’expulsion. En outre, on peut poser des questions qui semblent ne pas préoccuper la plupart des journalistes et des hommes politiques, plus soucieux de se faire entendre et voir, que de considérer la réalité.

Peut-être peut-on se rappeler qu'en 1996 le Kosovo entrait en guerre civile et que les Roms, pris entre Albanais et Serbes, n'avaient pas pris nettement parti, ce qui allait les conduire à une répression implacable et donc à la dispersion dans plusieurs pays d'Europe. À Mitroviça, notamment, un quartier rom prospère avait été ravagé et il n'en est pas resté une seule pierre debout.

La famille Dibrani, originaire de cette ville, avait sans doute déjà fui le Kosovo puisqu'elle s'est retrouvée en Italie, à Fano, 17 années durant, jusqu'en 2008, avant les 4 années passées en France. Dimanche 20 octobre, la mère de Leonarda, Xhemaili, a été giflée par son ex-époux d'il y a 25 ans, et a été brièvement hospitalisée a-t-on appris, de source policière kosovare, et selon l'Express et Libération.
Le retour forcé au Kosovo, où les menaces physiques n'ont donc pas tardé, est bien une faute et Leonarda avait toutes raisons de le craindre. En outre, les six enfants ne parlent pas l'albanais mais le romani, l'italien et le français... « Sur les 2 850 Roms vivant à Mitrovica, seuls dix ont du travail», a affirmé Qazin Gushani, le représentant de la communauté rom à Mitroviça. La famille est hors d'état de vivre au Kosovo et on lui a, incontestablement, fait violence.

Les relations entre les pays d'Europe et le Kosovo ne sont pas claires. Cet état récent, indépendant depuis 2008, a beau avoir l'euro comme monnaie, il ne fait pas partie de l'Union européenne. L'origine kosovare du père n'en fait pas un habitant légitime du Kosovo aux yeux des autorités locales, et la naissance de cinq des enfants en Italie et un en France, non albanophones, ne plaide pas en faveur de leur réinsertion. On oublie aussi un peu trop vite Maria, l'ainée de Leonarda, 17 ans, actuellement en CAP, service hôtellerie.

Quoi qu'on puisse reprocher à la famille Dibrani et notamment au père, Resat (dont les larcins et les mensonges ont été complaisamment divulgués par le préfet du Doubs, Stéphane Fratacci, ex secrétaire général du ministère de l'Immigration sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy), les membres de la famille n'ont pas à subir les conséquences de ses erreurs éventuelles, pas plus lourdes que celles qu'on observe fréquemment dans notre pays, mais sans pareilles sanctions !

Contrairement à ce qu'affirme Najat Vallaud-Belkcaem, porte-parole du gouvernement, l'affaire n'est pas réglée. Les Dibrani devront quitter le Kosovo et retenteront un retour dans l'Union européenne, par la Croatie ou ailleurs. Le droit ne peut pas tout, et organiser la vie publique en oubliant que la fraternité fait partie de la devise républicaine, conduit à des impasses visiblement inintelligentes.