Deux ans après le scandaleux discours de Nicolas Sarkozy, à Grenoble, au
sujet des "Roms et gens du voyage", le nouveau gouvernement expulse, à
Lille, Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Paris (XIXe), Marseille, Lyon,
etc... À l'expulsion des terrains s'ajoutent même des expulsions de
France par charter (via l'aéroport Lyon Saint-Exupéry).
Toutes les tentatives de justification, dont celle qui consiste à dire qu'il ne s'agit que de l'application de décisions de justice, masquent mal une véritable trahison ! Ou bien Manuel Valls, Ministre de l'Intérieur, désavoue la politique annoncée par le candidat Hollande, ou bien c'est le Président de la République lui-même qui trahit son engagement du 27 mars dernier, pris dans un courrier à Romeurope : "on ne peut continuer à accepter que des familles soient chassées d'un endroit sans solution". Or, c'est le cas.
Nous ne voyons, pour le moment, pas de différence entre la politique Sarkozy-Guéant et la politique Hollande-Valls à l'égard des Rroms. Les politiciens de droite ricanent ou, carrément, se réjouissent. La chasse aux Rroms est rouverte. Au moment où les tensions sociales se développent et où l'Europe subit une régression économique, il est particulièrement dangereux de donner des arguments à ceux qui recherchent des boucs émissaires.
Les questions de fond, dont dépend le sort des familles, n'étant pas abordées, le statu quo conduit à constater l'occupation illicite de lieux de vie, le développement de bidonvilles et l'étalement de la misère sous les yeux de citoyens choqués. On dépose plainte sur plainte. La justice ne peut qu'ordonner l'évacuation des terrains occupés sans droit ni titres. Les Rroms quittent les emplacements qu'ils occupaient, d'eux-mêmes ou contraints, pour aller, au hasard, dans l'angoisse et le stress, s'installer ailleurs, en attente de nouvelles décisions de justice et de nouvelles expulsions.
Quelles sont ces principales questions de fond qu'aucun Gouvernement ne veut ou ne sait aborder ?
- Les 15 millions de Roms d'Europe, à 95% sédentaires, et notamment ceux qui vivent dans les 27, bientôt 28 États, de l'Union européenne, sont-ils, oui ou non, nos concitoyens et, à ce titre, ont-ils les mêmes droits et devoirs que tous les autres Européens ? Si oui, comment en tient-on compte ?
- Les Rroms roumains ou bulgares vivant en France, environ 15 000 personnes, c'est-à-dire 1% des Rroms d'Europe, une faible minorité donc, ont-ils, oui ou non, depuis janvier 2007, comme ressortissants de l'Union européenne, le droit de circuler librement et par conséquent de s'installer, car nul ne se déplace sans avoir à faire halte. Si oui, comment en tient-on compte ?
- Suffit-il de démanteler les bidonvilles pour les supprimer ? Les familles qui ont choisi, depuis souvent des années, de vivre en France, qui y ont pris leurs habitudes et s'y sont fait des connaissances, ne rentreront pas dans leur pays d'origine où ils ont trop souffert. Les autorités françaises ne perdent-elles pas, oui ou non, leur temps et notre argent en tentant d'obliger les familles à repartir vers l'est, de force, ou en les traquant, alors qu'elles finissent presque toujours par revenir ? Si oui, comment en tient-on compte ?
- Les Rroms, notamment les étrangers, ne connaissent la caravane que comme un abri et ne sont nullement nomades ? Pourquoi alors, dans les administrations comme dans les prétoires, les assimiler encore aux "gens du voyage", c'est-à-dire aux Français vivant en habitat mobile ? Allons-nous, oui ou non, enfin comprendre que nous sommes nous-mêmes victimes de confusions, faites entre des populations qui ont une origine historique commune mais qui n'ont pas les mêmes modes de vie ? Si oui, comment en tenir compte ?
- N'y a-t-il pas lieu de nous interroger sur les raisons pour lesquelles
il est fait obstacle à l'insertion des Rroms parce qu'ils n'ont jamais
connu, au cours des siècles derniers, ni assimilation ni intégration au
sein de nos sociétés ? Autrement dit, reconnaissons-nous, oui ou non, la
réalité de la diversité humaine et acceptons-nous que certains de nos
semblables (qui ne sont pas nos identiques !) aient une culture et une
approche du monde différentes de celles qui sont les nôtres ? Si oui,
comment en tenir compte ?
- Allons-nous, oui ou non, mettre fin aux mesures transitoires relatives à l'emploi qui, jusqu'au 31 décembre 2013, et peut-être au-delà, condamnent les Rroms au travail au noir, à la mendicité et aux récupérations précaires ? Si oui, comment y parvenir à court terme ?
- Les fausses solutions, qui limitent au démantèlement la suppression des bidonvilles, non seulement déplacent et dispersent les phénomènes sans les régler, mais engendrent des nuisances environnementales et physiques affectant la vie même des familles et notamment des enfants. Allons-nous, oui ou non, sortir du cercle infernal dans lequel nous nous sommes enfermés avec les Rroms en les fragilisant, en les précarisant, au risque de les conduire vers des comportements de survie aberrants voire délictueux ?
"Je souhaite, écrivait encore François Hollande, que lorsqu'un campement insalubre est démantelé, des solutions alternatives soient proposées". Au-delà du souhait, il y a la nécessité ! Où sont les solutions alternatives proposées ? Si elles ne sont pas prêtes et suffisamment encore étudiées, quand va-t-on commencer à les rechercher, à les travailler, à les examiner avec l'aide des services et des associations qualifiées et bien entendu, avec le concours des intéressés eux-mêmes ? Là est l'urgence et non pas dans la précipitation vers la mise en œuvre de mesures brutales et, in fine, inefficaces.
Jean-Pierre Dacheux et Jean-Claude Vitran
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