Rue89 publie un fichier « Roms » de la gendarmerie
« Des fichiers de Roms, il n'y en a jamais eu », assurait le 9 octobre à Rue89 le général Morel. L'ancien responsable entre 1997 et 2004 de l'OCLDI (Office central de lutte contre la délinquance itinérante) entendait ainsi contredire les documents internes à son service, publiés deux jours plus tôt par LeMonde.fr et Rue89, faisant état de nombreuses mentions d'un « fichier Mens » (Minorités ethniques non-sédentarisées), un fichier de Roms illégal car non-déclaré et ethnique.
Rue89 s'est cependant procuré une nouvelle preuve attestant de la réalité de la collecte de telles informations au sein de la gendarmerie nationale : un programme informatique recensant les Roms, non-déclaré à la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés). Sur la page d'accueil de ce programme, sous l'intitulé « fichiers », figure le nom « Roms ».
Le caractère ethnique de ce fichier ne fait pas non plus place au doute. N'y figurent que des Roms, qu'ils soient Roumains, Polonais, Yougoslaves, Hongrois, etc. C'est donc d'abord le caractère ethnique de ces personnes qui leur vaut leur présence dans ce fichier, avant leur nationalité. Ce qui est contraire à toutes les réglementations françaises et européennes.
Rue89 a navigué plusieurs heures durant dans ce programme informatique, dont nous avons obtenu copie et qui fourmille de renseignements : de la filiation de la personne à ses fréquentations, via son surnom, le modèle et l'immatriculation de sa voiture, le nom de son conjoint, etc. Ce programme a été utilisé du début des années 90 jusqu'en l'an 2000 au moins (nous n'avons pas de preuve pour les années suivantes), et a été alimenté par une brigade de gendarmerie en France proche de nombreux camps de Roms.
Selon nos informations, cette brigade faisait régulièrement remonter les mises à jour des fichiers contenus dans ce programme à sa hiérarchie départementale et nationale.
« Ordre de conserver les données sur des disquettes »
« Il s'agit bien entendu d'un fichier clandestin », affirme un gendarme passé par la brigade en question, qui confirme point par point à Rue89 :
« Dès les années 80, on notait sur des fiches cartonnées les Roms du coin. Ça a pris de l'ampleur au début des années 90 : des techniciens sont venus de l'autre bout de la France nous installer ce programme informatique.
On y a entré les Roms du coin, puis ceux du département, puis ceux de toute la France, pour qu'on puisse faire des recoupements. Ceux qui ont été condamnés, mais aussi ceux qui ont été interpellés ou même seulement contrôlés. On pouvait garder dans notre ordinateur le programme qui exploitait les données, mais seulement le programme vierge. On avait ordre de conserver les données sur des disquettes.
Ces disquettes remontaient à la BDRJ [Brigade départementale de renseignements et d'investigations judiciaires, ndlr] qui faisait ensuite remonter au STRJD. La Cildi en a eu aussi connaissance puisqu'elle nous a appelés plusieurs fois pour faire avoir des renseignements sur les Roms. »
« Pas permis d'avoir ce type de données collectées »
Impossible de savoir si ce programme existe toujours, si d'autres brigades de gendarmerie en France proches d'autres camps de Roms utilisent ou utilisaient un programme identique, si l'OCLDI synthétise ou synthétisait de telles informations au niveau national ; puisque la gendarmerie nationale nie l'existence de fichiers ethniques à tous les étages hiérarchiques.
Une centralisation apparaît néanmoins plus que probable, au vu de ce tableau de synthèse réalisé en 2004 par la Cildi (Cellule interministérielle de lutte contre la délinquance itinérante, ancêtre de l'OCLDI), qui use du même découpage que ledit programme informatique : les Roms sont d'abord classés par leur ethnie, avant leur nationalité.
Après des contrôles effectués auprès des services centraux de l'OCLDI et du STRJD (Service technique de recherches judiciaires et de documentation), suites aux révélations dans les médias et la plainte des quatre principales associations de Roms et de gens du voyage représentées par Me Françoise Cotta, William Bourdon et Henri Braun, la Cnil a indiqué jeudi avoir constaté des transmissions « d'informations » mais pas de « fichier structuré » :
« La pratique de transmission massive d'informations des unités territoriales à destination de certains services centraux de la gendarmerie, qui a été constatée par la Commission, constitue également un traitement de données à caractère personnel au sens de la loi.
[Mais] lors de cette première phase de contrôles, aucun fichier structuré regroupant des données à caractère personnel relatives aux “Roms” et organisé autour de cette notion n'a été décelé. »
Il ne s'agit toutefois que d'un « rapport préliminaire » qui « ne préjuge pas des résultats de contrôles qui doivent être encore opérés dans les prochains jours ». D'ailleurs, la même Cnil, à qui Rue89 a depuis montré des captures d'écran de ce programme informatique, qui est lui structuré, nous a répondu à la question de savoir s'il s'agissait, selon elle, d'un fichier ethnique illégal :
« A priori, les fichiers déclarés ne permettent pas d'avoir ce type de données collectées. »
Le général Morel, lui, persiste : « Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu des tableaux comme celui-là. » Également contacté, le Sirpa gendarmerie (Service d'information et de relations publiques des armées) rétorque qu'« il n'y aura aucun commentaire » sur ce fichier « Roms ».
Combien de temps encore l'OCLDI, la gendarmerie nationale et le ministère de l'Intérieur pourront-ils nier l'évidence ?
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