Les
Roms ou la nouvelle question juive
Noël Mamère ose. Nous l'approuvons.
Nous sommes menacés par la haine anti-Roms, anti-Juifs, anti-musulmans, anti-autres...
A chaque semaine, sa crise
identitaire. La révolte de Trappes contre la loi sur la burqa à peine finie,
l’affaire Bourdouleix éclate, remettant la question rom au centre du débat
public. Sous sa forme la plus odieuse, l’obsession de l’Autre revient tarauder
la société française en plein cœur.
Le sieur Bourdouleix,
député et maire de Cholet, une ville moyenne de la France profonde, s’est donc
illustré en brisant le dernier tabou avec cette « banalité » abjecte :
« Comme quoi, Hitler n’en a peut-être pas tué assez »…
« Hitler, vous avez
dit Hitler ?
– Bah oui, Hitler, pourquoi
pas ? Lui, il avait su trouver une solution radicale pour régler le “
problème rom ”, hein ? ! »
En effet, entre
1939 et 1945, Hitler a fait assassiner de 500 000 à
750 000 Tziganes dans toute l’Europe. Ce génocide oublié, Gilles
Bourdouleix n’en a cure. Son problème, c’est la coexistence de quelques
familles de gens du voyage avec ses concitoyens qui, eux, votent aux prochaines
municipales.
Comme son inspirateur, le
député de l’UDI ne fait pas dans le « détail » et dépasse le maître.
Là où Le Pen ne voyait qu’« une présence urticante et odorante »,
Bourdouleix fait appel à des références que le vieillard de Saint-Cloud ne
prononce plus que mezzo voce après la campagne de dédiabolisation entamée par
sa fille.
Le maire de Nice n'aime pas les Roms, Français ou pas. Nous ne lui laisserons pas la parole !
Le guide pratique de
Christian Estrosi
Il fallait oser, le maire
de Cholet l’a fait. Mais sa phrase à l’emporte-pièce n’est que l’arbre qui
cache la forêt. Depuis le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, les Roms
sont en tête du top ten du racisme dans notre douce France. La droite comme la
gauche, dans des styles différents, en font les boucs émissaires de leur
incapacité à gérer notre vivre ensemble.
A droite, pas de souci moral
autre que celui du « pain au chocolat », la référence chère à
Jean-François Copé. D’abord l’amalgame : tous les gens du voyage, qu’ils
soient roms, manouches, tziganes, yéniches, gitans, sinté (nomades français,
allemands ou italiens) sont logés à la même enseigne, sans distinction. Tous
étaient naguère des Bohémiens, tous sont maintenant des Roms (en français,
« hommes »), donc une sorte de peuple venu des ténèbres de la
Roumanie profonde.
Ce racisme
« ciblé » réduit à une seule origine ethnique une catégorie de la
population qui n’a pourtant que le nomadisme comme seul point commun et qui
pâtit en plus de l’utilisation des poncifs à haute dose, du genre : les
gens du voyage ne seraient que des voleurs de poules, de portefeuilles et de
bijoux, des gens sales, ne s’occupant pas de leurs enfants… Autant de
stéréotypes qui stigmatisent l’ensemble d’une population n’apparaissant plus
que comme un « problème ». Pour mater ces populations stigmatisées,
Christian Estrosi n’a-t-il pas créé un guide pratique pour les élus en mal
d’idées d’expulsion ?
Manuel Valls sait
parfaitement ce qu’il fait
Quant à la gauche, elle
n’est pas en reste de dérapages verbaux, notamment chez des élus radicaux de
gauche ou socialistes. Mais ce qui inquiète le plus, c’est bien la politique de
Manuel Valls qui ressemble furieusement à celle de Nicolas Sarkozy.
Les chiffres parlent
d’eux-mêmes : les expulsions des campements dits « sauvages »
sont près de deux fois plus nombreux que sous Sarkozy. Dès son arrivée au
ministère de l’Intérieur, Manuel Valls en a fait le marqueur de son action,
notamment lors de l’expulsion de Lille à l’automne dernier. Sous prétexte de
faire respecter l’Etat de droit, il présente les camps de Roms comme des zones
de non-droit, sans rien dire sur les élus qui ne respectent pas la législation
sur les aires de caravanes.
En utilisant la justice
comme arme de sa politique à deux vitesses, il installe dans l’opinion de la
gauche et des démocrates l’idée que les Roms sont une catégorie de la
population à mettre au ban de la société. Manuel Valls sait parfaitement ce
qu’il fait en agissant ainsi : il veut s’inscrire dans le roman national
entre Clémenceau et Ferry. Dans ce récit qui repose sur un consensus
colonialiste et patriote, les Roms n’ont pas leur place.
Cachez ces roulottes que je
ne saurais voir
Qu’il soit instrumentalisé
par la droite ou par la gauche, cet apartheid qui ne dit pas son nom concentre
tous les ingrédients du racisme : les Roms deviennent un peuple démonisé
dans l’imaginaire collectif, un peu à la manière des Juifs avant guerre. Comme
pour les Juifs, qui venaient eux aussi d’Europe de l’Est (Allemagne, Pologne,
Roumanie, Russie, Ukraine), la thématique du peuple réputé dangereux, ayant un
mode de vie inassimilable, est largement utilisée.
Comme pour les Juifs, les
qualificatifs utilisés en termes de description physique et mentale,
d’apparence, sont ignominieux. Comme pour les Juifs, c’est
surtout leur mode de vie qui alimente le racisme dont ils sont victimes. Les
Juifs habitaient dans des ghettos construits dès le Moyen Age, pour les isoler
du reste de la population ; ils étaient assignés à certains types de
travaux, ils ne pratiquaient pas la même religion que l’immense majorité des
Français…
Aujourd’hui, alors que la
sédentarisation est devenue la règle, la pratique assumée du nomadisme apparaît
comme une hérésie. Cachez ces roulottes que je ne saurais voir. L’espace privé
est considéré comme la norme absolue. Tous ceux qui vivent en habitat précaire,
en caravanes, dans des yourtes ou des grottes aménagées, dérogent aux canons en
matière de logement et deviennent des parias. Quand, en plus, ils prétendent
occuper des espaces publics au cœur de nos cités, ils deviennent des éléments
dangereux qu’il faut neutraliser.
Ce n’est certes pas la
première fois que l’on pratique la chasse aux pauvres. Au XVIIe siècle, on s’en
prenait aux Bohémiens considérés comme des rebuts de la société. Aujourd’hui,
les gens du voyage sont devenus une caste d’intouchables que l’on montre du
doigt. Il y a encore peu d’années, jusqu’en 1969, ils avaient l’obligation de
posséder un carnet anthropométrique. Aujourd’hui, ils doivent détenir un carnet
de circulation. La République française, qui se réclame de l’universalisme, a
pourtant créé dans son histoire nombre de situations d’exceptions
permanentes : le code de l’indigénat, le statut des Juifs, les camps de
rétention, le carnet des Roms… A l’intérieur de notre République, ces
situations relèguent des catégories particulières de citoyens. Il faut dénoncer
et combattre cette exclusion à domicile.
Nous avons déjà enfermé les Tsiganes. Allons-nous recommencer ?
Réfléchir sur notre
cloisonnement mortifère
Si les élus et les
médiateurs de toutes sortes ont un rôle, c’est justement celui de permettre la
coexistence de modes de vie, d’habitat et de consommation différents. La
communauté nationale ne se différencie pas en fonction de l’origine, du sexe,
du milieu social, du type d’habitat, de ses choix de vie… L’égalité suppose la
reconnaissance des différences.
Je sais que ce discours est
difficile à entendre, surtout dans les quartiers populaires qui concentrent les
inégalités et les injustices de toute nature, mais c’est le seul qui peut
fonctionner comme principe pour la gauche. Notre écosystème humain dans la
ville est riche de notre diversité. Si on veut faire disparaître une partie de
ses composantes, on affaiblit l’ensemble.
La visibilité des gens du
voyage pose problème ? Tant mieux. Je refuse une société où le principe de
la séparation triompherait, une ville à trois vitesses, des ghettos de riches,
de bobos, de pauvres qui se referment sur eux-mêmes. L’existence d’une
population mobile par définition nous oblige à réfléchir sur ce cloisonnement
mortifère. La « gentrification » de nos villes implique la négation
des modes de vie qui ne se plient pas à ces nouvelles règles de l’urbanisation
capitaliste.
Par sa petite phrase, le
maire de Cholet a voulu sortir définitivement de l’histoire des hommes et des
femmes auxquels on a jamais voulu donner leur place.
http://blogs.rue89.com/chez-noel-mamere/2013/07/30/les-roms-ou-la-nouvelle-question-juive-230877
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