Voici
sept siècles que les Rroms vivent en Europe. Ils ont toujours
cherché à s'y intégrer. Ils y sont souvent parvenu car ils
auraient, sinon, totalement disparu. Alors, de quelle intégration,
parle-t-on, quand on les invite, incite ou contraint à s'intégrer ?
Intégrer
dit le Grand Robert, c'est « faire entrer ».
Pour qu'intégration il y ait, il faut donc que s'ouvre une porte.
L'intégration, dit aussi le même dictionnaire, c'est « l'opération
par laquelle un individu ou un groupe s'incorpore à une
collectivité, à un milieu ».
Incorporer ou s'incorporer, intégrer ou s'intégrer ? Si le
verbe est transitif, intégrer
devient indépendant de la volonté des personnes concernées ;
si le verbe est pronominal, s'intégrer
signifie
vouloir prendre place dans une collectivité qui vous accepte et vous
accueille. C'est tout différent !
La
confusion tient en ceci : l'intégration passe par des phases ;
elle est une opportunité, puis un processus puis un aboutissement.
Il faut parfois plusieurs générations pour qu'une intégration soit
achevée. L'étude des noms de familles témoigne de cette lente
installation de familles dans un pays. Les Belkacem, Moscovici,
Sarkozy, et autres Valls appartiennent à des lignées qui ne sont
pas, d'un coup, devenues françaises !
Pour
les Rroms, s'intégrer, (« vivre comme tout le monde »)
signifie être considéré comme un humain, un concitoyen européen
parmi d'autres ; cela ne veut pas dire pénétrer, à marche
forcée, dans un ensemble où l'on n'est pas forcément bien reçu et
où l'on a, du coup, peur d'entrer.
Mais
ce n'est pas tout : les Français vivent, à présent, dans des
familles monocellulaires. Il n'y a pas si longtemps, dans la France
rurale, plusieurs couples vivaient sous le même toit. Ce n'est plus
possible et nos habitats juxtaposent, à présent, les couples avec
leur progéniture. Proposer aux Rroms une intégration dans des
ensembles urbains où les familles larges ne peuvent plus cohabiter
aboutit à détruire le mode de vie qui est le leur. Ils ne peuvent
s'y résigner sans résistance. Et qui peut dire qu'ils ont tort !
Rabâcher
sans cesse, à propos des Rroms : « il faut qu'ils
s'intègrent », (et en une seule génération !), ne tient pas
compte des diversités culturelles si l'on attend des Rroms qu'ils
adoptent les habitudes vestimentaires, alimentaires, sanitaires...
des autres Européens. À la vérité, nous demandons constamment aux
Rroms d'aller ailleurs, même si, ailleurs, il leur sera tenu le même
discours : « allez vivre plus loin » ! C'est
une condamnation à la mort lente ! C'est un ethnocide eut dit
Pierre Clastre, le célèbre anthropologue et ethnologue français
(1934-1977).
L'intégration
de 20 000 personnes (moins qu'il n'y a de communes en France, soit
0,003% de l'ensemble des habitants de notre pays) alors que des
centaines de milliers, des millions d'Européens et d'Africains ont
déjà fait souche sur notre territoire, ne peut être considéré
comme une difficulté insurmontable. C'est donc ailleurs qu'il faut
rechercher la cause de ce rejet grandissant des étrangers rroms,
comme celui, encore vivace, ne l'oublions jamais, des Français qui
sont Tsiganes, Gitans, Manouches ou Yéniches !
À
la vérité, la cause de la montée de cette vague de haine, qui
déborde, parfois, jusque dans les propos de maires et de ministres,
doit être recherchée dans cette incompréhension de ce qu'est
l'intégration véritable, laquelle n'a rien à voir avec celle qu'on
reproche aux Roms de
France comme aux Rroms en
France de ne pas accepter. Les Tsiganes de France, quel que soit le
nom qu'on leur donne, ne sont pas encore nos compatriotes à part
entière puisqu'il sont soumis à des législations d'exception pour
peu qu'ils vivent en habitats mobiles regroupés. La loi de 1969 les
concernant, dont on retarde sciemment l'abolition, continue d'en
faire des Français qui ne sont pas comme les autres ! Pour eux
aussi, l'intégration véritable est loin d'être achevée. En
sont-ils responsables ? La confusion, faite en 2010, par le
précédent Président de la République, entre les étrangers
(Roumains et Bulgares) et les Français (dits « gens du
Voyage ») n'est pas effacée. Sous elle se cache, encore et
toujours, cette inacceptation d'une vie non conforme au référentiel
majoritaire.
L'intégration
ne dépend donc pas de la seule volonté des intéressés. Elle ne
peut s'accélérer. Elle demande du temps. Elle concerne aussi des
Français marginalisés, tout aussi pauvres, (plus nombreux que les
Rroms eux-mêmes). L'intégration des Rroms, enfin, ne résulte pas
seulement de leur installation réussie dans les limites de notre
pays ! C'est le résultat d'un double mouvement auquel la
France, admettons-le, est mal préparée.
La
République française est d'une part isolée, en Europe, et
quasiment la seule à ne pas reconnaître les minorités culturelles.
L'intégration de la plus nombreuse des minorités culturelles
d'Europe, ne dépend pas que du bon vouloir d'un seul État-membre.
Le sort des Rroms est davantage lié à l'avenir politique de
l'Europe qu'à la pérennité des États-nations.
D'autre
part, les Rroms qui, depuis le XIVe siècle, sont devenus des
Européens, (et bien avant que les États allemand, italien, et bien
entendu roumain, n'aient été constitués), ne sont que dans un
second temps les ressortissants et les citoyens des pays où ils sont
installés. Le pays des Rroms, finalement, c'est l'Europe tout
entière et pas uniquement cette Union européenne où la France
elle-même semble ne pas ... s'intégrer tout à fait !
Bref,
l'intégration dont veulent bien, aujourd'hui, les Français (sous
peine d'exclure les intéressés) c'est l'intégration au sein d'une
nation à la française sur laquelle, d'un bout à l'autre de
l'éventail politique, se crispent les tenants d'une identité
nationale intouchable et close, mais obsolète. L'intégration dans
la seule République française ne se fera pas, non par ce que les
Rroms s'y refusent, mais parce que l'État français n'en crée pas,
actuellement, les conditions.
Les
Rroms sont des marqueurs de l'espace européen. Il n'y a pas d'Europe
possible sans l'intégration effective des Rroms mais aussi de leur
apport à notre histoire commune. L'intégration des Rroms d'Europe,
c'est la mise en œuvre d'une concitoyenneté sans frontière telle
qu'elle a commencé à se penser au niveau du Conseil de l'Europe
avec ses 47 États.
Puissent
les débats prochains qui vont s'engager en France, pour les
élections municipales et, en principe, dans les 28 États de
l'Union, pour les élections européennes, permettre de contribuer à
l'élimination des idées fausses sur ce qu'est une intégration
véritable, laquelle ne s'accorde ni ne se décrète, mais se
construit et se déploie dans chacun des pays de notre très petit
continent.
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