Le texte suivant fut écrit fin 2003. Il n’a -hélas- pas pris une ride. Nous le rééditons, sans en changer un mot, parce qu’il éclaire ces années qui nous ont conduits où nous en sommes : la mise en marge et la discrimination des Rroms, à l’instigation des plus hautes autorités de l’État.
Le Collectif de soutien aux familles roms de Roumanie. Le 20 novembre 2010.
La France impitoyable
Dans notre coin de France, dans le triangle Montmagny-Groslay-Sarcelles, au cœur du Val d’Oise, aujourd’hui, 5 Novembre 2003, nous avons vu jusqu’où, en toute bonne foi et légitimité, pouvaient aller les serviteurs du « pays des Droits de l’Homme »… : jusqu’à l’impitoyable.
Car la police de M.Sarkosy a encore frappé ! Efficacement. Et, une fois encore, les Roms ont été victimes de cet acharnement : en passant, ce matin au bulldozer leur bidonville, les services de police ont broyé, enfoui ou écrasé les effets personnels, les appareils de chauffage, le matériel de cuisine, le couchage…, mais aussi les pièces et preuves d’identités appartenant à des personnes humaines ayant accumulé là, de quoi survivre, misérablement.
Encore une fois, on a mis fin à une situation précaire sans qu’aucune solution de remplacement ait été envisagée ; ce soir, une cinquantaine des Roms Roumains, au moins, se retrouvent donc sans abri, sans biens et sans papiers. Ils n’avaient presque rien ; ils n’ont désormais, (hormis ce qu’ils portaient sur eux), plus rien du tout !
Sans doute les « autorités » useront-elles encore de cette justification sans cesse ressassée : « on ne peut accueillir toute la misère du monde » ! La formule, malheureuse, de Michel Rocard, (jamais citée complètement car il ajoutait : « mais il faut en prendre sa part »), ne permet pas de jeter à la rue, à cette époque de l’année, des familles, et même des célibataires, qui n’ont d’autre solution que d’aller réclamer une hospitalité, lourde de promiscuité, dans un autre bidonville en attendant, dans un entassement pénible, la nouvelle et très prochaine « évacuation ». Elle est attendue pour lundi prochain !
Car, il ne s’agit plus, en effet, seulement d’expulsion. Il s’agit d’évacuer ces choses à visage humain, de chasser et pourchasser ces indésirables dont on ne veut pas savoir s’ils sont des enfants ou des vieux, des femmes ou des hommes, des détenteurs de titres de voyage ou de titres de séjour, des nouveaux venus ou d’anciens résidents, des « clandestins » ou des « réguliers »… « On n’en veut plus ! » Et puisqu’ils ne le comprennent pas d’eux-mêmes, puisque, si on les reconduit à la frontière, ils reviennent, puisqu’ils ne repartent pas « dans-leur-pays », on va leur rendre la vie impossible, oui, vraiment, très concrètement, impossible.
Ce soir, nous avons mal à la France ; nous avons honte de la France ; nous ne sommes pas loin de penser que le Front National n’a pas eu besoin de conquérir le pouvoir par les urnes pour le prendre : la préférence nationale est en place et, en ces temps de remontée du chômage, nous voyons bien que le discours qui triomphe est celui-ci : « il faut virer, impitoyablement, tous ces mal-venus, ces mal-propres, ces mal-appris, ces mal-aimés, qui nous envahissent ! Et commençons par les Roms.»
Le racisme naît avant qu’on le découvre installé. Il est des actes qui en disent plus que les mots : les jérémiades sur les ouvertures de centres d’accueil pour les sans-abri sont en totale contradiction avec l’abattage, par des fonctionnaires chargés de notre sécurité, des masures ou des cabanes où s’abritent des malheureux.
Les Roms ne sont pas des saints ! Certes, et alors ? Celui qui n’a pas le droit au travail (c’est écrit, clairement, lisiblement, sur les titres de séjour provisoires !) ne peut que travailler « au noir », ou vendre un journal, ou mendier, ou jouer de la musique dans les transports en commun. Sinon, il ne peut que sombrer dans la délinquance : vendre des cigarettes ou autres drogues, trafiquer ou voler.
Le dégoût nous emplit. Faudra-t-il, en 2003, squatter les églises pour éviter que les statues des saints soient mieux à l’abri de la pluie que les enfants des hommes ? Avons-nous perdu jusqu’aux principes qui fondent notre civilisation (qu’on la dise chrétienne, humaniste ou démocratique, peu importe !), ces principes qui voulaient, comme le disait Jeanne d’Arc, « que le plus petit soit le premier servi » ? Pas le meilleur, le plus beau ou le plus méritant : le plus petit !
Sommes-nous donc en guerre contre les Roms ? Y-a-il des raisons de les « terroriser » comme le font nos « gardiens de la paix » ? Sont-ils les rebuts de la société, des déchets à jeter ? Que ceux qui le pensent le disent, afin que nous sachions dans quelle société nous vivons.
Pourtant même un délinquant ne peut être traité comme un chien ! On ne casse pas la niche d’un chien ! On nourrit son chien ! Il y a des vétérinaires pour les chiens…
Mais nous, nous avons vu des bébés de quelques semaines dont( nul ne se soucie de savooir s’ils peuvent conserver au moins un berceau et un biberon !
Cette fois, on va trop loin ! Il y a divorce entre les citoyens qui veulent qu’on essaie de partager de quoi se tenir debout, ensemble, dans ce monde, et ceux qui ne veulent d’autre monde que celui qui est fait à leur main, quitte à sacrifier une partie d’entre nous, les hommes.
« Rom » veut dire « homme ». Simplement, homme. Primo Lévi, rescapé du lager, a signé un livre dont le titre dit tout : « Si, c’est un homme ! »
Qu’on puisse vouloir, (après Auschwitz où l’on a gazé et enfourné Juifs et Roms tout à la fois, et cela, rappelons-nous, de par la volonté d’un État légitime), mépriser, abandonner à leur sort, évacuer, littéralement faire disparaître de notre vue, 4 000 à 5 000 Roumains et Roms, futurs membres de l’Union européenne, cela est une abomination significative : cette France impitoyable est peut-être prête à se livrer à des tyrans sans âme ?
Et si les Roms étaient des hommes, et si nous commencions à traiter les hommes, tous les hommes, comme des hommes !
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