vendredi 29 juillet 2011

Un jugement du TGI de Pontoise à méditer !



Des Rroms dans la déchetterie1 !

Les Rroms sont, pour nombre de Français, des « encombrants », pour ne pas dire des « déchets ». Ils s'introduisent là où l'on ne devrait pas les trouver : ils collectent à même les déchetteries et... recyclent. Ils sont, sans le savoir, des concurrents pour les entreprises qui sont, depuis que la revalorisation de certains déchets est devenue rentable, des actrices de la filière environnement. En clair, ils s'introduisent non seulement dans les déchetteries mais ils pénètrent dans une activité industrielle génératrice de profits. Et ça passe mal !

Le SVDU (Syndicat national du traitement et de la Valorisation des Déchets Urbains et assimilés) est le syndicat professionnel rassemblant les principaux opérateurs de la valorisation énergétique des déchets ménagers en France. La filière Auror’Environnement, à Saint Ouen l'Aumône, dans la Zone d'Activité des Béthunes, en fait partie. Veolia-Propreté, qui gère le site propose aux collectivités les prestations liées à l’exploitation et l’entretien de leur déchetterie : accueil des usagers, entretien-exploitation du site, mise à disposition des contenants, évacuation des déchets, traitement et valorisation, (notamment, des déchets d’équipements électriques et électroniques que les Rroms recherchent, prélèvent et revendent).

Le Tribunal de Pontoise avait à juger, le 27 juillet 2011, deux jeunes Roumains, vivant dans un campement voisin, prétendant être venus s'approvisionner en eau, à proximité de la vaste déchetterie, (mais que la police affirme avoir surpris à l'intérieur de l'enceinte), parmi d'autres « pillards », venus se servir directement sur le matériel déposé par des particuliers ou des entreprises.

La CGECP (Compagnie Générale d'Entreprises de Cergy-Pontoise2), filiale de Véolia, et précisément de sa branche Véolia-propreté, avait déposé plainte et son représentant était présent lors du procès. Elle plaidait que les vols, l'éparpillement désastreux des déchets et le manque à gagner (y compris pour les communes de la CACP -Communauté d'Agglomération de Cergy-Pontoise) constituent de graves nuisances, auxquelles il convient de mettre fin.

Quand l'abbé Pierre, dans les années 1960, avait créé l'association Emmaüs pour que les « biffins », ou chiffonniers, sortent de la misère, il avait créé un service autant qu'une entreprise. À l'époque, on ignorait que la récupération de ce qu'abandonnent les ménages pouvait être très rentable et l'on n'avait vu là qu'une action de charité. Depuis, « faire du déchet une ressource » est devenu un slogan et l'économie « verte » se développe. On ne saurait laisser aux misérables cette ressource de plus en plus productrice de profits. L'accumulation de produits de consommation qui s'usent vite (et surtout lassent vite) a permis l'explosion de ce marché des déchets réutilisables ou recyclables.

Les Manouches et autres Gitans ont, eux aussi, vite compris qu'on pouvait tirer profit de la récupération de ce qu'abandonnent les gadjé. Il était bien connu que la collecte des « encombrants », une fois par mois, permettait de se débarrasser, sans peine, et gratuitement, des bicyclettes, machines à laver, meubles et autres bois et ferrailles. La circulation, la nuit, veille des ramassages, de véhicules conduits par des habitués de ces récupération était connue de tous et ne troublait personne. Au contraire, on considérait que, si cela permettait d'inoffensifs commerces « sauvages » et quelque peu rémunérateurs, c'était une aide et un service licites et, somme toute, utiles. Approche le jour où cela aussi va cesser ! Les entreprises de récupération des déchets de tous ordres ne veulent pas laisser cette activité libre se prolonger alors qu'il y a matière à bien gagner... On ne verra bientôt plus, sur nos trottoirs, des objets hétéroclites déposés par des riverains, de temps en temps. Il faudra passer par la déchetterie ! Il faudra passer par... Véolia !

Le juge du Tribunal de Pontoise n'a pas innocenté les Rroms qui sont entrés, sans en avoir le droit, dans la déchetterie de Saint-Ouen-l'Aumône, qu'il s'agisse de ceux qui comparaissaient, ou d'autres partenaires non appréhendés par la police. Cependant, contrairement à ce que demandait l'avocat de la CGECP, il n'a pas décidé de faire payer de lourdes amendes aux accusés et, contrairement à ce que voulait le Procureur, il n'a pas voulu que des peines de prison fermes soient prononcées.

Ce jugement clément appelle quelques réflexions et certaines ne concernent pas que les Rroms.

La première est celle-ci : est-ce que ce qui est conduit à la déchetterie, qui n'est plus ma propriété, que j'offre à la collectivité peut être objet de vol ? Comment expliquer à une personne qui veut réutiliser ce qu'on a mis au rebut, qui n'appartient plus à personne, qu'il ne le peut, sauf à être trainé devant les tribunaux ? Pourquoi ce qui était laissé sur la voie publique pouvait être, jusqu'ici, enlevé par des particuliers et pourquoi ce ne serait plus possible ? Pourquoi le déchet devient-il non plus seulement une ressource mais une marchandise qu'exploitent des entreprises lesquelles reçoivent, des élus, une « délégation de service public » pour privatiser cette activité libre et sans danger ? Même l'éparpillement (fort désagréable !) des contenus des « monstres », était toléré parce qu'exceptionnel et lié, on le devinait, à la nécessité de se servir vite...

La seconde est celle-ci : que vaut-il mieux, que les sans emplois cherchent à se faire quelque argent, fort peu du reste, en fouillant nos poubelles ou faut-il qu'ils se livrent à des activités plus répréhensibles ? Ne pouvons-nous jeter un peu de lest dans notre organisation sociale, y ouvrir des espaces non marchands pour que chacun vive ? Cette appropriation de tout ce qui rapporte est choquante, voire inhumaine. Quand l'ordre est aux mains des seuls commerçants, le désordre est encouragé !

La troisième est, enfin, celle-ci : il est une leçon de vie que nous donnent les Rroms, qu'ils soient français ou étrangers. Celui qui se laisse enfermer dans un ordre social où il n'est plus possible d'exister est obligé de n'y souscrire que partiellement. Cela le place parfois en violation de la loi. Cela perturbe l'environnement. Cela génère des conflits avec les riverains. À cela, il n'est d'autre réponse que celle qui consiste à agir sur les causes de ces perturbations. Et là deux conceptions de la politique, évidemment, s'affontent : d'un côté, on affirme que doivent être réprimés les désordres, qu'ils soient graves ou modestes et, de l'autre, on soutient que c'est l'injustice qui génère et entretient le désordre.

Face à l'injustice, la justice, parfois, se retient. Il faut s'en réjouir et en tirer les leçons.

1 Le terme déchetterie est une marque déposée par l''Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) . « Déchèterie » est l'orthographe choisie par l'Académie Française, le suffixe -terie (déchetterie) n'existant pas, on lui a préféré le suffixe -erie (déchèterie).

2 Compagnie Générale d'Entreprises est une appellation qui est à rapprocher de la CGE (Compagnie générale des eaux), qui, au moment de la création de la filière Aurore, en 1992, avait remporté le marché contre la Lyonnaise des eaux. La CGE, qui devint Vivendi, est « l'ancêtre » de Véolia-Environnement.

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