L'exemple
de la très difficile inscription sur les listes électorales
Rrom ou pas, tout ressortissant de l'un des 28 pays membres de L'Union Européenne, vivant en France, en âge de voter et n'ayant pas perdu ses droits civiques, pourra participer aux élections municipales (les 23 et 30 mars 2014) ainsi qu'aux élections européennes (le 25 mai 2014)1. Il pourra même se porter candidat. Éventuellement élu conseiller municipal, il ne pourrait, cependant, participer, comme délégué de sa ville, aux élections sénatoriales partielles (septembre 2014) car les élections parlementaires -Assemblée nationale ou Sénat- sont réservées aux seuls Français !
Voter n'est pas, et de
loin, le tout de la citoyenneté. Cela en fait néanmoins partie.
L'examen des conditions d'exercice du droit de vote importe d'autant
plus que la réglementation dissimule souvent les discriminations
dont certains électeurs ayants droit font l'objet.
Cela commence par
l'inscription sur les listes
électorales2.
Le Ministère de l'Intérieur français publie, avant chaque
consultation, le rappel des textes encadrant l'accès aux bureaux de
vote. Avant le 31 décembre, minuit, de l'année précédant celle du
vote, les électeurs étrangers en droit de voter doivent se faire
inscrire sur les listes électorales ad hoc, qui sont distinctes des
listes des électeurs français. Cette discrimination, qu'on la juge
ou non nécessaire, place à part, d'entrée, une partie du corps
électoral.
Mais
ce n'est pas tout : si un électeur français est inscrit une
fois pour toutes (et même automatiquement dès qu'il atteint 18
ans), un électeur étranger devra, lui, se réinscrire à chaque
scrutin sur la liste spéciale prévue à cet effet.
Mais
ce n'est pas tout : il est établi une liste par scrutin !
En 2014, donc, un électeur bulgare ou polonais ou belge..., voulant
voter en France devra se faire inscrire sur deux listes spéciales
différentes, dites « complémentaires » : celle
ouverte pour les élections municipales et celle ouverte pour les
élections européennes. Des documents d'inscription distincts
(formulaires CERFA, l'un pour les municipales3,
l'autre pour les européennes4),
sont accessibles, sur internet, pour ceux qui voudraient préparer
leurs documents avant de se rendre en mairie, s'ils préfèrent
envoyer leur demande d'inscription par courrier, ou même s'ils
n'hésitent pas à effectuer cette inscription en ligne.
La
faible participation des électeurs étrangers trouve ici son
explication principale : rien n'est fait pour simplifier
l'inscription et l'aligner sur les possibilités ouvertes aux autres
électeurs, de nationalité française. C'est un choix politique :
le droit de vote des étrangers aux élections locales, inévitable
pour les concitoyens de l'Union européenne, est néanmoins freiné.
Il est, du reste, toujours empêché pour les étrangers vivant en
France, même depuis longtemps, et non ressortissants de l'Union
européenne (Algériens, Maliens, Suisses..., entre autres). Les
Rroms, qui se retrouvent dans l'une ou l'autre des deux catégories
(un Rrom croate, roumain ou slovaque peut voter ; un Rrom serbe,
kosovar ou turc ne le peut pas !), ne comprennent rien à cette
distinction.
Mais
ce n'est encore pas tout : pour pouvoir s'inscrire, il faut, en
plus du formulaire CERFA « dûment renseigné »,
présenter un titre d'identité récent (cette exigence-là est
compréhensible et facile à satisfaire), fournir un justificatif de
domicile nominatif, tel qu'une facture, de moins de trois mois (que
les personnes françaises ou étrangères, vivant en habitat mobile,
n'obtiennent pas aisément5),
et rédiger une déclaration sur l'honneur (mentionnant nationalité,
adresse et non déchéance du droit de vote dans le pays d'origine
!).
L’électeur
européen reçoit, à partir du 1er
mars de l’année suivante, une carte électorale d’un modèle
particulier, valable seulement pour les élections municipales et/ou
européennes. Il faut, en outre, bien comprendre que l'inscription
sur la liste complémentaire européenne permet de voter pour les
représentants français
au parlement européen, mais prive l'électeur étranger vivant en
France de la possibilité de voter pour les représentants de son
propre pays au sein de ce même parlement.
Et
ce n'est toujours pas tout : pour ceux des Rroms électeurs
étrangers, roumains par exemple, – ils sont de loin les plus
nombreux – qui vivent dans la précarité d'un habitat
nécessairement temporaire, il n'est pas d'autre possibilité
d'obtenir un certificat de domicile qu'en obtenant leur inscription
auprès d'un Centre communal d'action sociale, dit CCAS, ou d'un
organisme agréé par le Préfet6.
Il est alors possible de disposer d'une « attestation
d'élection de domicile » (voir le formulaire CERFA
n°13482-027),
laquelle « peut être utilisée par son titulaire »
notamment pour s'inscrire sur une liste électorale.
Cette
complexité conduit les Rroms ressortissants de l'Union Européenne,
mais aussi nombre d'étrangers résidant en France, à une majorité
de renoncements à faire valoir son droit. Il n'est à cela que deux
parades possibles : soit obtenir des services municipaux une
information, un encouragement et une aide administrative facilitant
l'inscription, soit recevoir le soutien d'un bénévole, lui-même
informé et décidé, acceptant d'accompagner les intéressés.
Les
Rroms, une fois de plus, sont les révélateurs de détournements de
la démocratie. Car il s'agit bien de cela : ce « parcours
du combattant », cet abandon à eux-mêmes de concitoyens
européens vulnérables, perdus dans le labyrinthe des
administrations, met en évidence la prégnance d'un comportement
nationaliste. « Les Français d'abord » est une fausse
évidence, un principe depuis longtemps développé par
l'extrême-droite et qui apparaît, aujourd'hui, jusque dans la
pratique administrative, comme du bon sens, alors que l'égalité des
droits et donc des ayants-droit nécessite une autre approche.
Inutile de se réclamer de l'Europe si tous les électeurs
renouvelant le même parlement ne sont pas, dans chaque État,
traités de la même manière.
5 Pour
les personnes hébergées est demandée une attestation manuscrite
et la photocopie de la pièce d'identité de l'hébergeant et une
preuve de l'attache de l'hébergé avec la commune (bulletin de
salaire ou tout autre document sur lequel figure l'adresse de la
personne hébergée).
Voir aussi le Code de
l'action sociale et des familles (Article L264-1) :
« Pour prétendre au
service des prestations sociales légales, réglementaires et
conventionnelles, à l'exception de l'aide médicale de l'Etat
mentionnée à l'article
L. 251-1, ainsi qu'à la délivrance d'un titre national
d'identité, à l'inscription sur les listes électorales ou
à l'aide juridique, les personnes sans domicile stable doivent
élire domicile soit auprès d'un centre communal ou intercommunal
d'action sociale, soit auprès d'un organisme agréé à cet
effet ».
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